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A l'embauche on discrimine, au tribunal on ferme les yeux

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La justice refuse de donner suite à de nombreuses plaintes contre des offres d'emploi illégales ciblant l'âge ou la couleur de peau. Un symbole gênant à l'heure où la lutte contre les discriminations à l'emploi se veut exemplaire.

Un directeur de la communication de moins de 40 ans pour le conseil général de la Somme. Un chef comptable de moins de 30 ans pour la SNCF. En mars 2005, sept chômeurs, soutenus par l'association de chômeurs Apnée, ont porté plainte pour discrimination par l'âge contre 40 annonces d'emploi impliquant 70 entreprises ­ les sociétés qui embauchaient, mais aussi les cabinets de recrutement et les sites Internet qui diffusaient les annonces : Monster.fr, l'Apec, Cadremploi, Bouygues... En juillet, le parquet de Paris a finalement décidé de classer sans suite vingt de ces plaintes, après un simple rappel à la loi. Les autres plaintes ont été transmises aux parquets de province concernés ; ceux qui ont déjà pris une décision ont aussi choisi d'abandonner toute poursuite.

«BBR». Les plaintes avaient pourtant été transmises au parquet de Paris par la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde), qui en avait fait un exemple de sa lutte contre la discrimination dans l'emploi. Un secteur, justement, où se concentrent près de la moitié des réclamations pour discrimination faites à la Halde. Dans son rapport d'activité 2005 (1), l'affaire des petites annonces est le «cas n°8», exemple même de la discrimination par l'âge : «Les articles 225-1 et 225-2 du code pénal prohibent la discrimination lorsqu'elle consiste à refuser d'embaucher ou à subordonner une offre d'emploi à une condition fondée notamment sur l'âge. En l'espèce, les termes utilisés dans les offres d'emploi sont dénués d'ambiguïté et leur usage suffit à caractériser l'intention de discriminer de l'auteur des annonces», écrit la Halde. «En procédant à une transmission au parquet, dont les auteurs des annonces et les diffuseurs ont été informés, la Halde a marqué sa volonté de faire respecter la loi.»
Pour le symbole, c'est plutôt raté. Ce n'est pas la première fois que la justice pénale se montre frileuse sur des affaires de discrimination, qu'elle soit liée à l'âge ou à la couleur de peau. Pas la première fois non plus qu'elle désavoue la Halde, pierre angulaire de la lutte contre la discrimination du président Chirac. En juin, déjà, les juges avaient relaxé le groupe d'intérim Adecco, une de ses filiales, Districom, et la multinationale du cosmétique L'Oréal, accusés par l'association SOS Racisme d'avoir procédé au recrutement discriminatoire d'animatrices de supermarché. Un fax avait pourtant été présenté à l'audience où une salariée de Districom demandait à sa maison mère des jeunes filles «BBR» («Bleu-Blanc-Rouge» pour «blanches de peau»). Les animatrices devaient par ailleurs être des femmes, de 18 à 22 ans et de taille 38. Trois critères discriminants que le parquet n'avait pas jugé bon de poursuivre. A l'audience, l'avocat de la Halde avait été sévère envers Districom. Les juges n'avaient pas suivi, mais cette fois le parquet a décidé de faire appel. «Si, dans ce genre de dossier où les faits sont clairement établis, on n'agit pas, que se passera-t-il quand la justice sera confrontée à des cas plus compliqués ?» regrette Jean-François Amadieu, sociologue de l'Observatoire des discriminations et membre du comité consultatif de la Halde. «Cela va alimenter le point de vue des partisans de la discrimination positive : le droit paraît inefficace. Depuis la loi de 2001 (2), il y a eu peu d'évolution dans le nombre de plaintes et de condamnations.»

Testing. La Halde, elle, s'efforce de ne pas perdre la face. «Le parquet a tout de même fait un rappel à la loi, les lignes ont bougé, avance son directeur général, Marc Dubourdieu. Il y a un an, les employeurs n'avaient même pas conscience, en inscrivant un critère d'âge dans une annonce d'emploi, de faire quelque chose de grave et pénalement répréhensible. J'ai rencontré certains DRH incriminés et je peux vous dire qu'avoir été entendu par la police a marqué les esprits.» La Halde n'a qu'une peur : que les récentes décisions de justice découragent les futurs discriminés ­ qu'ils soient trop âgés, trop femmes ou pas assez blancs­ de porter plainte. Elle brandit donc une autre décision de justice de l'été, beaucoup plus réconfortante : la patronne d'un salon de coiffure de Loire-Atlantique a été condamnée à 3.000 euros d'amende, dont 1.500 avec sursis, pour discrimination raciale à l'embauche. Elle avait été coincée après une opération de testing.

SOS Racisme ne partage pas l'optimisme de la Halde. «Le parquet de Nanterre vient de classer sans suite une de nos affaires après cinq ans d'enquête, rapporte Samuel Thomas. Nous attaquions une offre d'emploi interne de Cegetel qui recherchait un "ingénieur électronique informatique-réseau" français, né de parents français, sous prétexte que la maîtrise du cryptage imposait un personnel habilité secret défense. Les parquets ont peu de moyens à disposition pour ces enquêtes, et policiers et magistrats ne sont pas formés. Pour beaucoup de procureurs, il suffit de dire aux gens qu'il ne faut pas discriminer, rien ne sert de les juger. Comme si ces délits ne méritaient pas de sanctions pénales. Sur une affaire de fichage ethnique, un procureur nous a répondu : "Ils ont compris qu'ils ne devraient plus le faire."»

Dans l'affaire des petites annonces, le motif du classement sans suite par le parquet fait hurler les plaignants : les entreprises ne sont pas poursuivies car elles ont cessé de diffuser les offres incriminées. «Mais les annonces d'emploi sont par nature éphémères ! estime Yves Barraud, chômeur et membre d'Apnée. Il est évident qu'un an après, au moment de l'enquête de police, elles n'étaient plus sur le site ! De plus, Monster.fr a continué de diffuser des annonces d'emploi discriminatoires vis-à-vis de l'âge. Ce qui nous a conduits à déposer une nouvelle plainte à la Halde, le 11 avril, contre 30 nouvelles annonces.» Malaise supplémentaire : Monster.fr est le partenaire choisi par le ministère délégué à l'Egalité des chances d'Azouz Begag pour le lancement, au printemps, d'un portail Internet dédié à la diversité et à l'emploi.

(1) Consultable sur www.halde.fr
(2) La loi de 2001 a étendu les motifs de sanction dans le code du travail à l'orientation sexuelle, l'apparence physique, le nom, l'âge. De plus, avant 2001, c'était au salarié de prouver qu'il était victime de discrimination. C'est désormais à l'employeur de se justifier.

(Source : Libération)

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Mis à jour ( Lundi, 04 Septembre 2006 10:21 )  

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