Dans le scénario d’un mauvais film de série B, l’histoire eut été risible. Sortie de la fiction, elle se fait abjection. Alors que leur direction avait exigé leur présence nocturne pour inventorier l’hypermarché, soixante salariés du Leclerc de Montbéliard (Doubs) se sont retrouvés enfermés pendant plusieurs heures à l’intérieur d’une réserve exiguë du magasin, dans l’obscurité totale... Avec interdiction formelle de discuter ou de téléphoner sous peine de se faire licencier ! «On a été traité comme peuvent l’être des travailleurs clandestins», confie, sous couvert d’anonymat, un employé.
Le vendredi 30 juin, surpris en plein inventaire par un contrôle inopiné de la Direction du travail et de l’Urssaf, les dirigeants de la grande surface paniquent. Selon les témoignages de salariés, pendant qu’un responsable retient tant bien que mal les agents à l’entrée, d’autres disparaissent dans les rayons et ordonnent aux membres du personnel présent de les suivre sans bruit avant de les cadenasser dans une pièce close, au milieu des cartons de vêtements. Sans aucune explication.
Le contrôle ne dure en tout qu’une trentaine de minutes, les inspecteurs du travail ne relèvent à première vue rien d’anormal. Mais, alertée par des accusations répétées d’heures supplémentaires impayées, la direction départementale du travail n’enquête pas depuis mars 2005 pour rien. En compagnie des forces de l’ordre, elle reste aux abords du Leclerc. Leur patience finit par payer. «Par petits groupes», les salariés sont «libérés» avec pour consigne de dire «que l’on a respecté nos horaires», explique un autre salarié dans les colonnes de l’Est républicain. Sur le coup, «beaucoup d’entre eux mentent, mais d’autres craquent», résume Maxime Guillemin, responsable CGT, qui n’exclut pas que son syndicat porte plainte au pénal pour séquestration «si des salariés le souhaitent».
Pour l’instant, la direction départementale du travail vient de déposer sur le bureau du procureur de la République un dossier dense sur les «irrégularités et infractions» constatées dans la grande surface. En plus de «l’entrave au travail des inspecteurs», l’enquête soulève deux autres fautes : une sur les salaires, l’autre sur les horaires. «Des employés ont effectué des heures gratuites de manière courante, ce qui bien évidemment n’était pas notifié sur leurs contrats», explique-t-on du côté de la direction départementale du travail.
Subitement, dans le courant de l’été, Bernard Canonne, le PDG franchisé de l’hypermarché, supprime les primes d’intéressement et ce «tant que les mouchards qui sont allés avertir l’inspection ne se dénoncent pas», répètent des salariés excédés. Car déjà, en début d’année, ils avaient vu abroger la réduction de 3% auxquels ils avaient droit à la caisse pour leurs achats. «Depuis un an, affluent vers nous des personnes au bord de la dépression, épuisées par des mois d’humiliation au travail, qui viennent de se faire licencier, pour un oui ou un non, sur des motifs de fautes graves plus que bancales», raconte Cyril Keller, le secrétaire de l’union locale CGT. Le syndicaliste parle de «150 licenciements abusifs» en quatre années de «règne Canonne». Une trentaine de victimes envisagerait ainsi de monter une association afin de mieux pouvoir peser dans la procédure judiciaire qui s’amorce. «Du bricolage pour s’organiser collectivement, vu que la direction refuse d’organiser l’élection des représentants du personnel malgré l’obligation légale», explique Cyril Keller. Direction qui n’a pas souhaité s’exprimer sur les événements.
Il y a quelques mois, une vingtaine de salariés, bravant le risque de représailles, a écrit à Michel-Edouard Leclerc pour l’avertir de la situation dans le magasin de Monbéliard. La lettre se terminait par un appuyé «Nous espérons que vous saurez nous entendre». L’accusé de réception s’est sûrement égaré.
(Source : L'Humanité)
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