Ce sont les petites mains du Parlement européen de Strasbourg. Ils sont entre 250 et 300, embauchés pour une poignée de jours, douze fois par an, à chaque session parlementaire. Ils sont huissiers d'étage, déménageurs, secrétaires, photographes, techniciens audio ou vidéo, puéricultrices, opérateurs de duplication... Au total, près d'une cinquantaine de postes différents, regroupés sous l'appellation générique d'«auxiliaires de session». Hier, soixante d'entre eux ont débrayé : ras-le-bol des contrats «inqualifiables» qui les lient au Parlement, peur de l'externalisation qui les menace, via le recours à une société d'intérim.
Précaire. Selon le secrétaire général du Parlement européen Julian Priestley, «l'option de maintenir une relation contractuelle directe entre les auxiliaires de session et l'institution disparaît» au 1er janvier 2007, suite à une réforme du statut de la Fonction publique européenne. Le Parlement a donc choisi d'externaliser les emplois d'auxiliaires et a lancé un appel d'offres auprès des spécialistes de l'intérim, remporté par Manpower. La société vient d'ouvrir un bureau à Strasbourg dédié au recrutement des agents précaires du Parlement. L'institution assure que ses employés actuels seront prioritaires à l'embauche et qu'ils n'y perdront rien financièrement.
Mais cette perspective effraie les auxiliaires. «Le lien direct avec le Parlement sera rompu et Manpower pourra faire ce que bon lui semble, les faire travailler ou pas», note leur avocat, Me Ralph Blindauer. «Le système de l'intérim, on connaît. Malade une fois, malade deux fois, la troisième à la porte ! Alors qu'ici, il y a une relation humaine», s'inquiète Patricia North, déléguée FO.
Pour «humaine» qu'elle soit, la relation n'en est pas moins des plus précaires. Les auxiliaires, même s'ils travaillent parfois depuis vingt-cinq ans pour le Parlement, n'ont aucune garantie d'emploi. De mois en mois, leur contrat est tacitement reconduit pour la durée des sessions. Ils le signent en arrivant à leur poste le lundi matin. «Le seul avantage qu'on a, c'est une réduction de 80 centimes à la cantine», ironise Claudette Weber, assistante aux comptes rendus des débats dans l'hémicycle depuis dix ans, pour 138 € bruts par jour, non imposables en France. «Pas de prime de précarité, pas de congés payés, pas de médecine du travail, pas de reconnaissance de l'ancienneté», énumère une auxiliaire, employée depuis dix-sept ans comme huissier. Attachée à un groupe parlementaire, elle assure la distribution du courrier, veille au bon fonctionnement de l'étage où elle travaille. Pour 3,5 jours par mois, son salaire culmine à 257 euros net. «C'est nous les petits crans qui font que toute la machine fonctionne, dit-elle. Je n'ai rien contre Manpower, mais il y a une certaine confidentialité dans notre travail, une relation de confiance qui s'est établie avec le temps.»
Requalification. Hier, les auxiliaires en colère ont reçu le soutien de l'eurodéputé Jacques Toubon (Parti populaire européen). «Il nous conseille de ne pas courber l'échine, rapporte Patricia North. Il a averti le maire de Strasbourg et va ameuter ses copains du gouvernement.» Pour le communiste Jacky Hénin (Gauche unitaire), «les services du Parlement en ont tout simplement marre de faire 300 contrats par mois et ils veulent externaliser, quitte à ce que ça coûte 50% plus cher avec l'intérim». Les auxiliaires estiment que le marché entre le Parlement et Manpower s'élève à 12 millions d'euros sur quatre ans. Leur avocat compte porter le fer sur le terrain juridique. Il soutient «qu'aucune société de travail temporaire n'a vocation à mettre des salariés à disposition d'une personne morale de droit public», comme le Parlement, et espère obtenir la requalification des «CDD de merde» en CDI à temps partiel.
(Source : Libération)
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