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Accueil La revue de presse La liberté de gagner plus n'existe pas

La liberté de gagner plus n'existe pas

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A toi, la jeune militante aux yeux embrumés de lumières, que je croisai hier, le temps d'un métro,
A toi, jeune et militante, que j'entendais assurer d'une voix convaincue que la libéralisation des 35 heures, "c'est la liberté de travailler plus pour gagner plus",


A toi, jeune et militante, je veux dire cette chose : la nature, dans son infinie bonté, t'a dotée d'un esprit critique. Fais-en usage.

C'est que le Code du travail, jeune fille, permet à l'employeur d'imposer au salarié l'accomplissement d'heures supplémentaires. En revanche, il ne permet pas au salarié d'exiger la même chose à son employeur.

Et pourquoi ferait-il une telle chose, le Code du travail ? Mais parce que le contrat de travail se définit comme l'engagement par lequel on met son activité à la disposition d'autrui en se plaçant sous sa subordination. Je souligne "subordination" car c'est le critère que retient le droit pour qualifier le contrat de travail, et le distinguer de contrats voisins, tel que le contrat d'entreprise [1], par exemple.
La pulpe du travail salarié, ce n'est pas l'accomplissement d'une tâche, mais la subordination du salarié à l'employeur. Disons, la soumission du salarié au pouvoir de l'employeur. Voici la raison pour laquelle on a jugé bon de protéger le salarié contre l'exercice de ce pouvoir. Les multiples règles qui limitent la liberté d'entreprendre visent à protéger celui qui s'est engagé à obéir.

Ainsi, c'est l'employeur qui décide des heures supplémentaires. Il en décide librement dans un contingent annuel fixé par convention ou accord collectif [2]. A défaut d'accord collectif, la loi fixe le contingent à 180 heures [3]. Au delà, le recours aux heures supplémentaires requiert l'autorisation de l'inspecteur du travail, le seul avis du Comité d'entreprise, et la bienveillante obéissance du salarié.
Au delà encore [4], et dans le cadre d'une convention ou d'un accord collectif, les parties peuvent avoir recours à des heures dites "choisies". Ces heures choisies sont effectuées à la demande du salarié mais soumises à l'accord de l'employeur [5]. C'est là, sans doute, qu'il faut voir l'exercice de "la liberté de gagner plus".

Deux remarques cependant. Les heures choisies sont effectuées hors contingent d'heures supplémentaires et supposent donc que des heures supplémentaires aient été effectuées. La majoration salariale des heures choisies repose sur un accord collectif. Ce ne sont donc pas les parties qui la négocient. Par ailleurs, rien n'exige de l'employeur qu'il satisfasse à la demande du salarié.
En fait de liberté, donc, il s'agit surtout d'écarter le contrôle de l'Inspection du travail.
En tout état de cause, les heures supplémentaires ou choisies ne peuvent excéder [6] une durée de 44 heures pendant 12 semaines, et en tout état de cause, de 48 heures par semaines.

Que se passe-t-il si le salarié refuse d'effectuer les heures supplémentaires ? Le refus du salarié constitue une faute justifiant son licenciement. Elle constitue une faute grave [7], si ce refus n'a pas été justifié par un motif légitime alors que le travail était urgent.

Ce n'est pas exactement ce qu'on appelle la liberté, si tu veux m'en croire. Car la liberté suppose de pouvoir accepter, ou refuser. Elle devrait même permettre [8], si l'on suit la formule, la possibilité de travailler pour salaire à discrétion.

Mais alors, pourquoi a-t-on entendu Nicolas Sarkozy parler de "liberté de travailler plus pour gagner plus" ? Parce que la durée légale du travail a été fixée à 35 heures hebdomadaires, et que c'est à partir de ce seuil que sont comptées les heures supplémentaires. Comme les heures supplémentaires sont assorties d'une rémunération plus élevée, elles sont plus coûteuses pour l'employeur. Et comme elles sont plus coûteuses, l'employeur hésite à y recourir.

Le problème, dira-t-on alors, c'est le coût du travail.
Peut-être, mais en aucune façon une question de "liberté". A moins que dans moment de lasciveté juridique il vienne à quelqu'un de parler de "liberté opposable de gagner plus" ?

Sans doute le tissus de contraintes du Code du travail enserre-t-il les rapports entre salarié et employeur, mais il ne s'agit jamais que de contrôler l'exercice de son pouvoir par l'employeur. En rien ne limite-t-il la liberté du salarié.

"La liberté de gagner plus" n'est qu'une formule [9]. Elle ne recouvre guère les propositions plus fines, mais plus orthodoxes qu'avance Nicolas Sarkozy. La liberté est chère aux libéraux. Elle m'est chère. Et elle s'accomode mal de tournures trompeuses, sauf à s'épuiser dans de vaniteuses nuées.

[1] Lorsqu'un plombier vient réparer votre chauffe-eau. Les parisiens savent combien cette profession est rémunératrice.
[2] C'est l'article L. 212-6 du Code du travail.
[3] Ou 130 heures en cas d'accord collectif dit de modulation.
[4] A l'issue du nouvel article L. 212-6-1 issu de la loi nº 2005-296 du 31 mars 2005.
[5] "le salarié qui le souhaite peut, en accord avec son employeur, effectuer des heures choisies au-delà du contingent d'heures supplémentaires applicable dans l'entreprise (...)''
[6] Sauf accord ou convention collective autorisée en ce sens.
[7] Donc exclusive du délai-congé.
[8] Encore qu'il s'agisse là davantage d'un droit que d'une liberté.
[9] La rémunération n'est pas limitée en droit français.

par Jules pour Diner's Room

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Mis à jour ( Jeudi, 18 Janvier 2007 09:32 )  

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