Métro parisien, station Alésia. Un vieux monsieur hurle : «Ça marche comment ce machin ?» L’homme est excédé parce qu’il ne parvient pas à se procurer son titre de transport au distributeur automatique de tickets. L’employé de la RATP quitte son guichet et vient à son secours. Il lui explique les rudiments de la machine. Il faut sélectionner sur l’écran son titre de transport parmi une foule de propositions (ticket à l’unité, carnet, coupon hebdomadaire ou mensuel…). Valider son choix en appuyant sur un bouton vert. Annuler avec un bouton rouge si on s’est trompé. Le paiement se fait par pièces ou carte bancaire. Ça paraît simple. Mais le grand-père semble totalement désarçonné face à l’automate. On devine qu’il est incapable de refaire seul l’opération. «Alors on ne peut plus acheter au guichet ?», interroge-t-il. L’employé de la RATP lui répond non d’un signe de la tête.
Marche forcée. A Alésia, comme dans 75 stations du métro parisien, les agents ne sont plus habilités à vendre les titres de transport. Il y a toujours des employés aux guichets mais leur fonction a changé : les anciennes caisses ont été rebaptisées «comptoirs d’information». Leur tâche est de communiquer avec les usagers. Ça fait moderne. Mais pour se procurer des tickets, c’est la machine ou rien. La direction de la RATP prévoit à l’horizon 2010 d’étendre cette automatisation à la plupart des 300 stations du métro parisien. La vente manuelle serait préservée dans une cinquantaine de sites, en particulier aux arrêts desservant les gares SNCF. Cette «modernité» à marche forcée imposée aux usagers est évidemment problématique dans un service public qui brasse le plus grand nombre.
Depuis quelques années, en effet, de nombreuses études alertent sur l’apparition d’une nouvelle exclusion fondée sur les disparités de maîtrise des nouveaux outils technologiques (lire en commentaire). Y compris pour des appareils au fonctionnement a priori élémentaire. Parmi les exclus : les personnes très âgées, les étrangers, et des Français issus de couches socioculturelles défavorisées maîtrisant mal la lecture. Les tests effectués lors des Journées d’appel de préparation à la défense (l’ancien service militaire) montrent par exemple que 4,8% des jeunes ont des «difficultés sévères» de lecture et 3,1% un niveau «déficitaire». Quand on additionne toutes les personnes susceptibles de buter sur les machines, cela commence à faire beaucoup de monde. «La diffusion des nouvelles technologies est un vrai sujet de société. Certains se sentent pris en otage par une modernité qui leur échappe», analyse Régis Bigot du CREDOC (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie).
Disponibilité. La direction de la Régie prétend, elle, que cette automatisation vise «à améliorer le service rendu aux voyageurs tout en enrichissant le travail des agents». Presque un monde idéal. «Des enquêtes nous disaient que nos agents aux guichets, très occupés à vendre des titres de transport, n’étaient pas suffisamment disponibles pour les usagers», affirme Philippe Martin, directeur général adjoint de la RATP. Il cite à l’appui des sondages montrant que 90% des usagers sont satisfaits du métro et 52% de la vente automatique.
Et les autres ? «Je ne vais pas nier qu’il peut y avoir des problèmes», concède-t-il. La RATP pense les résoudre avec la mise en service de «nouveaux distributeurs plus ergonomiques». Et affirme que dans les années à venir il sera possible de prendre le métro avec son portable grâce à une puce intégrée. Ou de recharger son abonnement Navigo à un distributeur automatique de banque avec sa carte bleue. Manipulations qui supposent là encore une maîtrise des nouvelles technologies.
Dépendance. Quid des gens en difficulté ? «Les agents sont là pour les aider.» Ce qui fait d’eux des voyageurs en situation de dépendance, donc. «On n’avait jamais jusqu’ici contraint les usagers à l’utilisation d’appareils automatiques», pointe Stéphane Ferry, un des responsables CGT des agents. En poste dans une station automatisée, il raconte que les employés des «comptoirs d’information» subissent fréquemment les foudres d’usagers fâchés avec les machines. «Ils nous disent : si vous ne pouvez pas me vendre un billet, qu’est-ce que vous faites là ?» Un témoignage qui montre une réalité moins idyllique que les «sondages qualitatifs» de la direction.
(Source : Libération)
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