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Heures sup’ et journalisme : avant et après le 6 mai

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David Larousserie a étudié pour l'Observatoire des médias - ACRIMED comment la presse quotidienne nationale a traité la mesure emblématique de Nicolas Sarkozy sur les heures supplémentaires, avant et après le scrutin : escamotage en règle, ou laxisme d'une profession qui ne fait plus son métier ?

Un jour les historiens se demanderont peut être de quoi les citoyens ont débattu pendant la dernière campagne présidentielle. S’ils se penchent sur le contenu des quotidiens nationaux ils risquent d’avoir des surprises... L’exemple de la proposition emblématique de Nicolas Sarkozy sur la détaxation des heures supplémentaires montre qu’on discute parfois plus après qu’avant l’élection !

Slogans. «Travailler plus pour gagner plus» : pour un slogan réussi, c’est un slogan réussi. Dans la presse quotidienne nationale, on l’a même plus lu après qu’avant les élections ! Ainsi dans Le Monde l’expression surgit entre 3 et 5 fois par mois avant le 6 mai [1]. Après, c’est presque un matraquage : 15 mentions entre le 7 mai et le 7 juin ! Idem au Figaro où l’expression est utilisée autant en quatre mois de campagne qu’en un mois d’après élection (20 fois). Libération est frappée du même syndrome : malgré un pic au mois d’avril de 13 mentions, le refrain est présent près de 20 fois entre le 7 mai et le 7 juin. Visiblement, le slogan était si fort qu’il a eu de l’écho longtemps après que son héraut cesse provisoirement de le clamer...

Encore faut-il préciser comment le slogan se décline lorsqu’il est question des exonérations/ défiscalisations/ détaxations des heures supplémentaires. Le même phénomène est observable : la mesure, pourtant socialement importante, est à peine plus évoquée pendant les quatre mois de campagne que pendant un seul mois après le 6 mai... Au Monde, une cinquantaine d’articles de janvier à mai, puis presque autant (un peu moins de 40) entre le 7 mai et le 7 juin. A Libération, une quarantaine contre une trentaine. Au Figaro, quasi match nul autour de la cinquantaine. Entre temps, ce qui n’était qu’une promesse (donc visiblement pas intéressante médiatiquement ?) est devenue réalité (donc journalistiquement valable ?).

Arguments. Reste à mesurer la place accordée aux arguments contre ce projet, en comptant les articles qui en mentionnent. Là encore, les lecteurs n’ont guère eu d’informations entre janvier et fin avril. Dans le Figaro, moins de cinq articles évoquent des aspects négatifs au fameux «travailler plus pour gagner plus». À Libération, c’est un peu plus : un article en janvier, 2 en février et mars, 5 en avril. Au Monde, l’ordre de grandeur est à peu près identique. Encore faut-il bien dire que souvent, ces articles correspondent à des comptes-rendus de meetings socialistes, des entretiens ou des points de vue de dirigeants du PS. Les journalistes ne se mouillent pas trop.

En revanche, après le 6 mai, les rédactions se réveillent : soudain on découvre que la mesure peut être contestée, que sa mise en œuvre pose des problèmes, que les experts se mettent à parler... Entre le 7 mai et le 7 juin, Le Monde égratigne la mesure dans 14 articles, Libération dans 17 articles. Même Le Figaro s’y colle avec 13 articles. Evidemment beaucoup de ces articles sont liés à la mise en œuvre de la mesure (du concret !), mais c’est l’occasion pour les journalistes de «découvrir» toutes les questions qu’elle pose. Or la plupart de ces questions auraient pu être posées avant (problème avec l’égalité devant l’impôt, extension aux fonctionnaires, aux cadres ; son coût...).
En ces temps d’«illuminations» collectives, l’avis, plutôt sceptique, de l’économiste Pierre Cahuc est alors relayé par les trois quotidiens : son rapport pour le Conseil d’analyses économiques (rapport rendu après le 6 mai) fait du bruit dans cette assemblée. Du coup, d’autres experts sortent du bois. Ainsi Pierre-Yves Geoffard dans Libération le 21 mai, qui qualifie d’«absurde» la mesure. Ou Christian de Saint-Etienne le 31 mai à propos du rapport Cahuc («Il y a des moyens plus intelligents de dépenser trois milliards»). Ou encore Francis Kramarz dans Le Figaro qui est «réservé», le 30 mai. Ou dans Le Monde, le trio Cahuc-Blanchard-Zylberberg, le 5 juin, qui parlent dans un point de vue d’«usine à gaz». Où étaient-ils donc passés avant le 6 mai ?

Doutes et enquêtes. Alors, les éditorialistes vedettes se mettent à douter un petit peu. Eric Le Boucher dans Le Monde du 30 mai, Michel Godet (même lui !) dans Le Figaro du 30 mai ou Laurent Joffrin dans Libération le 31 mai (décidément, ils se réveillent tous ensemble) qui conclut que «manifestement il existe aussi un dogmatisme libéral»...
Les journalistes retroussent alors leurs manches pour aller sur le terrain. La grève dans l’entreprise Kronembourg (début juin) est l’occasion de plonger dans le monde ouvrier et de sonder l’effet de la mesure. Le Monde consacre aussi deux pages à un tour d’horizon dans les entreprises le 7 juin. Certes, de telles plongées avaient déjà eu lieu en usine le 21 février lors d’une visite de Sarkozy chez Renault. Libération aussi avait quand même parlé de cette proposition mal accueillie dans les usines McCormick (1er février). Mais de telles incursions ont été marginalisées tant que les projecteurs étaient braqués sur les sondages et les péripéties de campagne. Les journaux se sont également beaucoup amusés d’une brève sur le Japon signalant presque simultanément dans les trois quotidiens - quelle belle unanimité ! - l’augmentation du surmenage au travail avec en prime un mot nouveau le «karoshi» (18 mai pour Le Figaro et Libération ; 21 mai pour Le Monde).

Tous comptes faits, il y a eu plus d’articles «négatifs» (plus exactement, d’articles contenant un argument contre la mesure) en un mois après le 6 mai qu’en quatre mois de campagne [2]. Les journalistes ont semblé soudain découvrir ou s’intéresser à une mesure moins sibylline qu’il n’y paraît (effets négatifs sur le chômage, augmentation de la dette des comptes sociaux, non prise en compte de ces heures pour la retraite, heures supplémentaires subies plutôt que choisies...). Seul quotidien à dresser la liste de ces arguments : L’Humanité.

Evidemment cette analyse quantitative partielle sur les quotidiens nationaux ne saurait décrire la totalité de la campagne présidentielle dans les médias. Mais elle permet de mesurer à quel point un débat sur une mesure emblématique peut être étonnamment absent (ou sous-représentée) de ces médias. Le brutal sursaut après l’élection accentue encore l’impression d’escamotage. Pis : les mesures d’exonérations des heures supplémentaires ne semblent pas être une exception. Il n’y a qu’à voir combien fleurissent, depuis qu’une loi est annoncée, les points de vue sur la réforme universitaire. Pourquoi étaient-ils inaudibles ou absents avant ? Si, dans les principaux quotidiens nationaux, une campagne électorale ne sert qu’à lancer des slogans (comme l’«autonomie des universités» ou le «travailler plus pour gagner plus») sans en développer les contenus, on est en droit de s’interroger sur les limites de leur fonction démocratique.


[1] Méthode : nous avons épluché les archives des trois quotidiens nationaux principaux, à l’exception des suppléments «éco» du Monde et du Figaro.
[2] Une dizaine contre 14 pour Le Monde. Moins de 5 contre 13 dans Le Figaro. Et une dizaine contre 17 dans Libération.

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Mis à jour ( Mardi, 10 Juillet 2007 16:24 )  

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