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Le marché est nuisible au vieillissement (et à la santé)

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Il aurait suffi d'augmenter les salaires pour permettre d'augmenter sans douleur les cotisations sociales liées à la retraite. Pour Eric Le Bourg, chercheur au CNRS et attaché à l'Université Paul-Sabatier de Toulouse, la question du vieillissement fait partie des domaines pour lesquels l'économie de marché est inefficace.

En France, chacun ou presque peut espérer connaître la vieillesse. Cette situation n'est pas transitoire et il faut la gérer de manière "soutenable". La Sécurité sociale et les retraites par répartition ont permis jusqu'ici de répondre au financement des retraites (5 points de PIB avant 1960, 13 aujourd'hui, environ 15 en 2050) et au coût d'un plus grand nombre de malades âgés.
Les cotisations salariales représentaient 6% du salaire brut en 1950, elles en représentent plus de 20% aujourd'hui. En cinquante ans, le coût des prestations sociales est passé de 15 à 30 points de PIB alors que la France s'enrichissait considérablement. Notre pays aurait donc pu continuer à envisager avec sérénité des coûts croissants.

Pourtant, certains trouvent que les cotisations sont trop élevées et le législateur préfère augmenter la durée d'assurance pour avoir une retraite à taux plein ou indexer les pensions sur les prix, entre autres, ce qui diminue les pensions. Depuis plus de vingt ans, la part des profits dans la valeur ajoutée a progressé : augmenter les salaires permettrait d'augmenter les cotisations sociales sans douleur, mais ce n'est pas le choix des décideurs, qui ne souhaitent pas non plus faire cotiser significativement plus les revenus du capital ou les stock-options.

Les pensions devenant donc insuffisantes, il faudrait recourir à des plans d'épargne ou de retraite. Toutefois, ces solutions individuelles cassent les solidarités intergénérationnelles sans apporter de garantie de versement des rentes. Quant au coût des personnes âgées pour la Sécurité sociale, on renvoie chacun à sa responsabilité en instaurant, par exemple, des franchises médicales. Nous vivons donc l'application des solutions libérales dans le domaine social, le règne du chacun pour soi. Cela permettra-t-il à la population âgée de vivre dans de bonnes conditions ?

Pour ceux qui n'ont que leur retraite, la réponse est non. Pour ceux qui peuvent cotiser à un plan de retraite, il leur reste à espérer percevoir des rentes à la hauteur des promesses. On risque donc d'augmenter le nombre de vieux pauvres. Leur santé se dégradera vraisemblablement, car il sera peut-être bientôt impossible de trouver un spécialiste sans dépassement d'honoraires. Quand on ne peut payer les dépenses essentielles, on ne peut généralement pas s'offrir ces dépassements...

La conséquence prévisible de tout cela est une détérioration progressive de l'état sanitaire de la population âgée et une baisse possible de l'espérance de vie. Les réformes des retraites de 1993 et 2003 condamnent à une paupérisation progressive les vieux jours venus, comme il y a un siècle. De fait, il semble que le système capitaliste français revient au mode de fonctionnement d'avant la période de concurrence avec le système socialiste : une société peu solidaire, faisant la part plus belle aux rentiers qu'aux salariés.

Cette société ne permettait généralement pas aux retraités non rentiers de vivre décemment mais, aujourd'hui, devenir retraité est le lot de presque toute la population. Ce qui était donc soutenable en 1914 à l'échelle de la société - peu de vieux pauvres parce que peu de vieux tout court - ne l'est donc plus.

La question du vieillissement, comme celle de la santé, fait partie des domaines pour lesquels le marché est inefficace, et même nuisible. Les États-Unis montrent où un système libéral peut conduire : une mortalité infantile des afro-américains au même niveau qu'en Roumanie (environ 14‰), des dépenses de santé importantes (environ 15 points de PIB contre 10 en France) pour des résultats désastreux, une longévité plus faible que dans tous les pays d'Europe occidentale.

En France, le conservateur Charles de Gaulle a fait preuve de pragmatisme à la Libération en laissant naître la Sécurité sociale et les retraites par répartition. Toutefois, il semble qu'aujourd'hui nos dirigeants aient une approche plus idéologique que pragmatique, comme l'a montré par exemple la création du contrat première embauche (CPE) en 2006, alors qu'il était évident qu'elle allait entraîner la mobilisation des jeunes. Joseph Staline et ses collaborateurs prirent en leur temps des décisions sur une base idéologique qui n'ont pas aidé l'Union soviétique à survivre, bien au contraire. En France, nos idéologues libéraux réussiront-ils à tuer leur propre système par idéologie ?

(Source : La Tribune)

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Mis à jour ( Lundi, 26 Novembre 2007 16:55 )  

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