Le gouvernement n'est pas au bout de ses peines car pour tenir ses fameux 3% de déficit en 2013, il ne lui faut pas simplement s'attaquer au budget de l'Etat, il doit aussi remettre en ordre les finances sociales, et ce n'est pas une mince affaire.
Le dernier rapport de la Cour des comptes sur la Sécurité sociale, consacré pour l'essentiel aux dix-huit derniers mois du quinquennat sarkozyste, le rappelle. Rendu public jeudi 13 septembre, il établit un diagnostic sans appel : les déficits 2011 sont massifs, la dette sociale se reconstitue et la trajectoire d'assainissement des comptes marquera le pas en 2012, estiment les magistrats financiers.
Leur message au gouvernement est clair : "L'essentiel du chemin de redressement des comptes sociaux reste à faire". Il sonne comme une mise en garde à quelques semaines de la présentation, début octobre, des grandes lignes du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour l'année 2013.
Désireuse de bien marquer une rupture avec ses prédécesseurs de droite, la ministre des affaires sociales, Marisol Touraine, se fixe sur la durée "l’objectif de maîtriser la dépense mais sans pénaliser les patients comme l'avait fait Nicolas Sarkozy" et d’"équilibrer la branche vieillesse encore déficitaire malgré la réforme des retraites de 2010". Une gageure.
Un gouffre de 19,6 milliards
La Sécurité sociale, tous régimes confondus, a crevé en 2010 tous les plafonds de déficit (25,7 milliards d'euros). Il est vrai qu'à l'époque, le déficit budgétaire de l'Etat frisait les 150 milliards ! L'année 2011 a été moins pire : -19,6 milliards sur 418 milliards de recettes, ce qui reste colossal.
A lui seul, le régime général — salariés et assimilés — affiche un déficit 2011 de 17,4 milliards d'euros (0,9% du PIB) aux deux tiers structurels. Quant au fonds de solidarité vieillesse (FSV), qui finance l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA, ex-minimum vieillesse) et prend en charge les cotisations des chômeurs, il est déficitaire de 3,5 milliards. Ensemble, leur déficit représente plus du double de celui des années 2007-2008. La Cour juge la situation d'autant plus préoccupante qu'il y a eu l'an dernier un apport de recettes considérable, et que les dépenses maladie ont été tenues.
La maladie qui rit, la vieillesse qui pleure
La branche maladie du régime général a vu son déficit passer en un an de 11,6 à 8,6 milliards. Cette baisse sensible résulte d'une augmentation de ses ressources, du fait de la croissance des cotisations sociales, de la CSG et des impôts et taxes affectés, très supérieure à celle de ses charges.
L'objectif national des dépenses d'assurance-maladie (Ondam), un outil de régulation institué en 1996 par le gouvernement Juppé, avait été fixé à 2,9% en 2011, ce qui est rigoureux. Il a été respecté pour la deuxième année consécutive au prix d'un effort de maîtrise jamais relâché. L'assurance-vieillesse et le FSV se trouvent en plus mauvaise posture : leur déficit annuel cumulé reste important (9,5 milliards d'euros). Et surtout, en l'absence de mesures nouvelles, il perdurerait après 2018 à un niveau de l'ordre de 9 milliards par an, bien loin du retour à l'équilibre que la réforme des retraites de 2010 ambitionnait pour la même date...
Des perspectives 2012 dégradées
La Cour a ajusté au 1er septembre les prévisions qu'elle avait présentées en juillet dans son rapport sur la situation et les perspectives de finances publiques. Sur la base de ces travaux, elle s'attend à la persistance de déficits élevés en 2012. Malgré les nouvelles recettes votées cet été dans le collectif budgétaire et en dépit d'un Ondam qui devrait être à nouveau tenu, le déficit du régime général devrait atteindre 14,7 milliards. Il sera donc supérieur à celui initialement prévu dans la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2012 (13,8 milliards).
La trajectoire de redressement des comptes sociaux marquera le pas cette année. Pour la respecter à moyen terme, la Cour insiste sur le nécessaire retour à l'équilibre de l'assurance-vieillesse et sur le respect de l'Ondam. "Un taux de croissance annuel de 2,4% assure un retour à l'équilibre en 2017, un taux de croissance à 2,7% le repousse à 2019", préviennent les magistrats financiers.
La machine infernale de la dette sociale
Dans cet environnement général, l'endettement social, principalement porté par la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades), continue de prospérer. Malgré la reprise en 2011 par la Cades de 65,3 milliards de déficits cumulés des années antérieures, soit un montant sans précédent depuis la création de cette institution en 2005, la dette sociale est en train de se reconstituer. Les déficits de la maladie et de la famille devraient atteindre dès cette année plus de 9 milliards, pour lesquels rien n'est prévu.
En l'absence de mesures complémentaires de redressement et sous l'hypothèse d'un Ondam progressant de 2,7% par an, près de 60 milliards de dettes sociales pourraient s'accumuler d'ici à la fin de la décennie sur le périmètre du régime général et du FSV. C'est plus que ce que la loi a aujourd'hui prévu de transférer à la Cades. Une nouvelle reprise de dette est donc indispensable dès la clôture de l'exercice 2012. Elle nécessitera un surcroît de ressources que la haute juridiction financière propose de trouver en relevant de 0,50% à 0,56% le taux de la CRDS.
Ambulanciers et retraités, même combat
Pour éclairer les choix du gouvernement, la Cour a passé au crible 80 milliards de recettes et 40 milliards de dépenses. Elle affirme que des marges de manœuvre substantielles existent et en énumère quelques-unes. Quelque 450 millions d'économies, dit-elle, pourraient être faits chaque année sur les transports de patients à la charge de l'assurance-maladie, qui font vivre ambulanciers et chauffeurs de taxi mais au prix d'une dépense importante (3,5 milliards), non épargnée par la fraude...
Autre suggestion explosive de la Cour : "s'attaquer" aux retraités. Bien que 940.000 personnes âgées soient toujours au minimum vieillesse (ASPA), les retraités bénéficient aujourd'hui d'une situation globalement plus favorable que celle des actifs. La Cour propose donc de supprimer un certain nombre de niches fiscales ou sociales (l'abattement de 10% sur les pensions, l'exonération fiscale des majorations de pension pour enfants…) et d'aligner le taux de CSG sur les pensions les plus élevées (6,6%) sur celui appliqué aux salaires (7,5%).
Au printemps 2010, feu le président fondateur de Terra Nova, le socialiste Olivier Ferrand, avait plaidé en ce sens dans les colonnes du Monde. Cela lui avait valu une volée de bois vert de Martine Aubry...
(Source : Le Monde)
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