Mme Lagarde exulte : la France n'aurait jamais créé autant d'emplois depuis 2000 ; près de 300.000 en 2007. Nous avons peu d'informations sur les sources de telles statistiques car les enquêtes correspondantes ne sont pas disponibles pour l'année 2007. Et nous souhaiterions nous réjouir avec la ministre de l'économie si nous n'avions des données fiables - et inquiétantes - sur le type d'emplois qui, derrière ce chiffre mirifique, se profilent. Ces inquiétudes reposent sur des faits convergents et s'appuient sur les données de 2006, année la plus récente sur laquelle les statistiques publiques sont stabilisées.
Fait numéro un : sur les 188.900 emplois créés en 2006, déjà considérée comme une année dynamique, 116.000 (c'est-à-dire près de 60% du total) l'ont été dans les services à la personne (l'aide à domicile, les employés de maison, la garde d'enfants, etc). Un beau résultat ? Pas vraiment.
Fait numéro deux : les emplois créés dans ces services l'ont été sur la base d'une durée du travail incroyablement faible. Selon les données de sources administratives (dites des organismes agréés des services à la personne ou OASP, Dares) et de l'emploi de gré à gré (Ircem), on obtient une moyenne horaire annuelle travaillée de 450 heures par salarié pour l'ensemble du secteur, et de 420 heures pour les seuls emplois créés en 2006. En «équivalent temps plein», cela ne fait que 32.000 emplois ajoutés... Mais surtout, 450 heures annuelles, cela correspond à un emploi à moins d'un tiers-temps, soit 11 à 12 heures par semaine.
Et comme ces activités sont rémunérées aux alentours du Smic, les salaires moyens distribués sont de l'ordre de 300 € par mois... La montée en régime du plan Borloo, dont l'un des objectifs affichés est la création de tels emplois, peut faire envisager qu'en 2007 les services à la personne auront ajouté 175.000 à 180.000 emplois, mais sur la base de durées du travail aussi faibles...
Un argument fréquent, opposé à cette triple critique, repose sur l'idée que ce type d'emploi est «toujours mieux que rien» et que les salariés pourraient accroître leur temps de travail en multipliant, par exemple, le nombre de leurs employeurs. A l'aune de nos recherches, cet argument n'est pas recevable. D'abord, parce que cela fait plus de dix ans que cette rhétorique accompagne la création des emplois de «gré à gré» (appelés à l'époque les emplois familiaux, puis les emplois de proximité) sans signe clair d'amélioration en termes de durée du travail. Ensuite, parce que les statistiques sont têtues : elles indiquent clairement que, dans l'aide à domicile, les salariés à temps partiel ayant plusieurs employeurs pâtissent d'un temps de travail hebdomadaire plus réduit que les salariés n'en ayant qu'un...
Nos gouvernants actuels ont critiqué avec vigueur le «scandale» de la mise en place des 35 heures. Aujourd'hui, nous pouvons interroger le sens donné à la croissance de l'emploi, celle-ci reposant pour une grande part sur la création de tiers-temps, autour de 11 ou 12 heures hebdomadaires en moyenne.
A force de multiplier les petits boulots (des «miettes d'emploi», dirait la sociologue Margaret Maruani), la France sera peut-être bientôt championne du monde de ces créations. Mais peut-on encore parler d’«emplois» ?... Et faut-il s'enorgueillir d'une telle expansion ?
(Source : Le Monde)
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