Déjà, le 1er mars, l'émission Capital sur M6 montrait un visage peu avenant de ce «secteur en plein boom» qui emploie majoritairement des femmes. Des horaires fractionnés où le temps de transport n'est pas inclus dans la fiche de paie : l'une d'entre elles, s'activant et courant 37 heures par semaine, gagnait moins de 900 € ! Pour un tel salaire, les agences qui font de ces jobs leur nouveau business et poussent comme des champignons ont le culot de placer la barre très haut quant à leurs exigences de recrutement.
Bon petit soldat, Laurent Wauquiez fait la promo du sous-emploi précaire et peu rémunérateur [1] qu'il souhaite professionnaliser (et non revaloriser). Ainsi, il évoque «un grand plan de formation pour orienter les demandeurs d'emploi vers ces nouveaux métiers» qui peuvent générer, d'ici 2012, «100.000 emplois par an». Un grand progrès pour l'économie française et, surtout, pour la gent féminine [2] !
Les 35 heures… inversées
Selon des chiffres arrêtés à fin 2007, l'Agence nationale des services à la personne déclarait que 313.000 emplois dans ce secteur avaient été créés depuis la «révolution culturelle» que devait être le plan Borloo (81.000 en 2005, 104.000 en 2006 et 128.000 en 2007). Soit «121.000 emplois équivalents temps plein»… sur trois ans.
A l'heure où il était encore question de «travailler plus pour gagner plus», Florence Jany-Catrice, membre du Centre lillois d'études et de recherches sociologiques et économiques, dénonçait aussitôt la durée du travail incroyablement faible de ces postes : «Nos gouvernants actuels ont critiqué avec vigueur le "scandale" de la mise en place des 35 heures. Aujourd'hui, nous pouvons interroger le sens donné à la croissance de l'emploi. Celle-ci repose, pour une grande part, sur la création de tiers-temps, autour de 11 ou 12 heures hebdomadaires en moyenne».
L'OFCE, pour sa part, notait une écrasante majorité de «temps très partiels» : 12 heures par semaine, contre 23 heures en moyenne pour l'emploi à temps partiel dans son ensemble. Dans son étude, l'OFCE a aussi pointé que les salariés employés de gré à gré «n'ont pas accès à la formation, aux contrôles médicaux, à ceux de l'Inspection du travail ou à la médiation syndicale en cas de litige du travail»... Isolées, ces personnes ne bénéficient d'aucun garde-fou face aux abus.
Puis, dans son bilan qualitatif paru en janvier 2008, l'INSEE avait estimé que le nombre de salariés employés par des particuliers s'élevait à près de 1,7 million, soulignant qu'il s'agissait d'une majorité de femmes au salaire global très faible, inférieur à 1.666 € nets par an dans la moitié des cas. Un «travailler peu pour gagner très peu» aussitôt dénoncé par l'économiste Jean Gadrey.
A qui profite l'emploi en miettes ?
Pour encourager ces services peu innovants et qui ne génèrent pas de gains de productivité, l'Etat a la main lourde. Malgré un soutien financier de 10 milliards d'euros par an, non seulement ce secteur n'a qu'une multitude de temps partiels à proposer, mais on y recense des salariés qui gagnent toujours, pour 80% d'entre eux, entre 6,20 € à 9,40 € de l'heure.
Le ministère de l'Economie le reconnaît lui-même : les relèvements successifs des plafonds de dépenses ouvrant droit aux crédits d'impôt et autres aides fiscales pour les employeurs potentiels ont non seulement entraîné des effets d'aubaine, mais ont profité aux foyers aisés qui en ont capté l'essentiel tandis que les retraités au minimum vieillesse ou les familles monoparentales ne peuvent même pas y accéder.
Creusant les inégalités (aide ménagère pour les personnes âgées, garde d'enfants ou accès aux cours de soutien scolaire…) et échappant à la sphère publique, ces «emplois» sont, cyniquement, attribués à ceux qui ne pourront jamais s'offrir ce type de «services». Si elle n'a pas décroché un job de caissière au Smic à temps partiel dans un supermarché dont les bénéfices explosent, la mère célibataire ira faire la bonniche chez les riches — vieux ou jeunes — ou s'occuper des gosses des autres pour nourrir les siens. La boucle est bouclée : le travailleur pauvre, œuvrant au confort de celui qui ne l'est pas, est maintenu dans sa condition. Vous parlez d'un progrès !
[1] Le principe est le même avec les contrats aidés ou le recours au chômage partiel : à grands renforts de subventions qui déresponsabilisent le patronat et lui profitent directement, travailler moins pour gagner moins vaut mieux que «le chômage tout court», n'est-ce pas ?
[2] Ne vous inquiétez pas : Laurent Wauquiez pense aussi aux hommes. Mieux que la blouse et les gants en caoutchouc, il leur propose d'endosser l'uniforme et le Taser auprès des services de sécurité privés, où «100.000 emplois vont être créés d'ici à 2015». Ainsi, on rétablit l'ordre naturel des choses.
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Commentaires
Sarkozy profite de la crise pour instaurer les bases du sous-emploi de masse
Pour se faire élire, Nicolas Sarkozy a promis de ramener le taux de chômage à 5% en 2012, seuil qu'il considère comme celui du «plein emploi». Grâce à la crise, contre toute attente, il va pouvoir y parvenir tout en exauçant les vœux du Medef.
Fort d'une rigidité statistique axée sur le quantitatif plutôt que le qualitatif (un travailleur précaire = un chômeur en moins dans les chiffres officiels), surfant sur un contexte qui induit des «mesures d'urgence», l'homme qui a fait la peau aux 35 heures n'hésite pas les remplacer par l'emploi en miettes.
Parlant du RSA, le sociologue Serge Paugam nous met la puce à l'oreille : «On officialise ainsi l’abandon de la notion de "plein emploi", remplacée de façon manifeste par celle de "pleine activité"». Cette nuance de taille mérite d'être creusée…
L'équation est simple. Pour Nicolas Sarkozy, «plein emploi» = «pleine activité» = «plein emploi» précaire = «sous-emploi» de masse qui, à terme, doit se substituer au «chômage de masse» et hop!, le tour est joué. Finis les CDI et surtout les 35 heures, cette «erreur historique». Crise aidant, il nous prépare une horreur à la portée de tous : la banalisation du précariat, dont il compte se servir comme levier.
Tout ce qu'il propose abonde dans ce sens :
• la promotion des services à la personne, qui sont un «vivier d'emplois» «non délocalisables» et considérés comme «moteurs» de l'économie… Or, jusqu'à présent dans ce secteur, on note une écrasante majorité de femmes travaillant à «temps très partiels» pour des salaires de misère : 12 heures par semaine contre 23 heures en moyenne pour l'emploi à temps partiel dans son ensemble… Qui dit mieux ?
• l'assouplissement du CDD qui doit permettre aux employeurs d'y recourir plus facilement, bien que 75% des embauches actuelles se fassent déjà sous ce mode. Car, a déclaré le président, «en phase de ralentissement, un CDD en plus c'est un chômeur en moins» !
• le retour des contrats aidés, misérables emplois jetables à temps partiel au Smic subventionnés par l'Etat, véritable aubaine pour les employeurs. Afin d'obliger les chômeurs de longue durée à accepter ces postes qui n'aboutissent que très rarement à un emploi pérenne, la loi sur «l’offre raisonnable» stipule que le refus d'un contrat aidé est passible de radiation.
• le Revenu de solidarité active qui, vingt ans après la création du RMI, épouse les courbes d'un sous-emploi considéré comme inéluctable et instaure un nouveau statut social pour ses victimes : celui du «travailleur précaire assisté» à durée indéterminée.
Flexibilité accrue sans contrepartie de sécurité, coût du travail toujours en baisse : pour le Medef, on se rapproche sérieusement du nirvâna.
• le chômage partiel est, lui aussi, préférable au chômage tout court : on va donc l'étendre. Moins il y aura d'allocataires Assedic, mieux ça vaudra pour les statistiques (d'ailleurs, le Contrat de transition professionnelle que Nicolas Sarkozy veut développer part du même principe : le salarié fraîchement licencié ne sera pas chômeur mais «stagiaire de la formation professionnelle », échappant ainsi aux chiffres officiels).
L'avènement du «partiel» érigé en «toujours mieux que rien» — c'est-à-dire mieux que l'infamant chômage, non pas révélé comme grave conséquence de la faillite d'un système économique ni même comme outil indispensable à son fonctionnement, mais comme objectif chiffré à manipuler pour masquer cette faillite — est à l'honneur. Premier effet kiss cool : cet escamotage en règle aura des répercussions forcément avantageuses sur les données de l'INSEE. (Même principe avec le RSA sur les chiffres de la pauvreté.)
Ensuite, on nous dit que la «crise» nécessite des mesures d'urgence, annoncées comme «temporaires» (mais, depuis quelques années, beaucoup ont appris que le temporaire peut s'éterniser). Deuxième effet kiss cool : la «crise» va enfin permettre d'ouvrir des portes qui mèneront le patronat plus sûrement vers le paradis. Tant et si bien que lorsqu'elle sera passée, d'ici un an ou deux, et que les gens s'y seront habitués, ces portes ne vont pas être refermées. Répondre | Répondre avec citation |
Pour Alternatives Economiques, les réductions d'impôts pour les services à domicile bénéficient d'abord aux foyers les plus aisés et ont peu de conséquence sur la croissance des emplois du secteur.
LIRE ICI leur analyse édifiante…
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