Depuis 2005, sous l'impulsion de Jean-Louis Borloo, plans après plans, le gouvernement fait la promotion de ce secteur, "vivier" d'emplois "non délocalisables" et, soi-disant, "recette anti-chômage". A l'occasion d'une étude divulguée mercredi à la presse, les médias à sa botte s'empressent de relayer la propagande gouvernementale à travers des titres alléchants, question d'enjoliver la réalité auprès de qui veut bien les croire sans trop s'y attarder et, pourquoi pas, d'inciter les chômeurs les plus acculés à opérer une reconversion dans ces métiers "d'avenir" qui fleurent bon le XIXe siècle...
Un petit coup de Photoshop
Le Bipe, «une société d'étude économique» qui a réalisé ce «baromètre de qualité» pour l'Agence nationale des services à la personne (ANSP) afin de «présenter une photographie du secteur», invente l'eau chaude en déclarant que garder des personnes âgées à domicile ou faire du jardinage ou du ménage chez un particulier est mieux rémunéré que le Smic horaire (30% en moyenne, soit 10 € nets de l'heure au lieu de 6,96 €). Or, non seulement cela a toujours été, mais c'est même indispensable ! On trouve normal que les intérimaires bénéficient d'une "prime de précarité" inhérente à leur condition : il est donc normal que ces petits boulots, par essence très précaires, soient rémunérés à un taux horaire plus élevé qu'un emploi à plein temps afin de rester un tantinet attractifs, non ?
Cependant, cette rémunération à peine meilleure est très insuffisante : le Bipe reconnaît qu'en raison du grand nombre de temps partiels, le salaire net moyen des 2 millions de personnes employées par ce secteur n'est que de… 690 € par mois ! En cause, «la difficulté d'une partie des salariés [40% seulement, selon l'étude] à effectuer le nombre d'heures souhaitées» : ainsi, le volume hebdomadaire moyen de travail s'établit à 22 heures, soit l'équivalent horaire du temps partiel moyen en France (23 heures par semaine). La honte... Mais travailler peu pour gagner très peu vaut mieux que le chômage et ses mauvais chiffres, pas vrai ?
Aussitôt, le Bipe réactive son Photoshop, affirmant qu'en matière de conditions de travail, «le bilan est plus positif que l'image communément admise». Ainsi, 75% de son échantillon de salariés interrogés prétend ne pas souhaiter travailler ailleurs, tandis que 96% assurent être respectés par leurs patrons. Seuls 25% disent qu'ils préféreraient changer de métier s'ils avaient le choix (surtout les femmes de ménage dont le taux d'insatisfaction s'élève à 35%) : l'honneur est sauf !
Pas de progression salariale
Le profil général de cette population est, sans surprise, peu diplômé, à 94% féminin et assez âgé, puisque 68% a plus de 40 ans. Bref, du travail en miettes pour une majorité de femmes qui jonglent entre plusieurs employeurs. Seuls 32% de celles/ceux qui sont en emploi direct et 8% de celles/ceux qui travaillent par le biais d'associations ou d'entreprises privées n'en ont qu'un seul, alors que 41% de la première catégorie et 76% de la seconde en ont au moins quatre ! Mais, selon le Bipe, une infime minorité s'en plaint... Bien évidemment, le temps perdu dans les transports — que son enquête n'évalue pas — n'est pas indemnisé.
Les tâches les plus "nobles" (assistance informatique et administrative, soutien scolaire) ne concernent que 50.000 salariés, le gros des troupes (quelque 680.000) travaillant dans le secteur des travaux ménagers, de la préparation de repas et de la livraison, tandis que 450.000 assistent des personnes âgées ou malades, 420.000 s'occupent d'enfants et 70.000 réalisent des "travaux divers".
Dans ce secteur où le travail de la femme est toujours considéré comme ne devant apporter au foyer qu'un salaire d'appoint, où l'expérience ne joue pas et où les progressions de carrière sont inexistantes, les rémunérations stagnent. Une situation «insupportable» qu'a mollement dénoncée le directeur général de l'ANSP, éludant au passage l'isolement de ces salarié(e)s qui, en majorité, n'ont pas accès à la formation, aux contrôles médicaux, à ceux de l'Inspection du travail ou à la médiation syndicale en cas de litige.
Des emplois pour les riches
Afin de développer ces services peu innovants qui échappent à la sphère publique et ne génèrent pas de gains de productivité [1], le gouvernement a mis en place toute une batterie d'incitations fiscales afin de séduire les particuliers-employeurs (en 2007, ils étaient 2,75 millions). Mais des études récentes ont montré que les ménages aisés en captaient l'essentiel, ces aides — dont le coût pour l'Etat s'élève à 10 milliards d’€ par an — ne bénéficiant qu'aux ménages imposables et aux revenus élevés : les retraités au minimum vieillesse ou les familles monoparentales ne peuvent y accéder.
Outre ce constat inégalitaire, on voit bien qu'il s'agit de développer le sous-emploi précaire et peu rémunérateur — c'est toujours ça en moins dans la catégorie A de Pôle Emploi — au profit d'une classe dominante à qui l'on donne les moyens supplémentaires de s'offrir des larbins. Donc, si elle n'a pas décroché un job de caissière au Smic à temps partiel dans un supermarché dont les bénéfices explosent, la mère célibataire ira faire la bonniche chez les riches ou s'occuper des gosses des autres pour nourrir les siens. La boucle est bouclée : le travailleur pauvre, œuvrant au confort de celui qui ne l'est pas, est maintenu dans sa condition.
Pour conclure, alors que l'UMP persiste à critiquer les 35 heures, on peut dire qu'oser continuer à faire la promotion de ces emplois dont la durée de travail (donc, le volume en "équivalent temps plein") est aussi minable relève d'une mauvaise foi et d'un cynisme consommés.
SH
[1] L'économiste Adam Smith, inventeur de la «main invisible du marché», disait lui-même : « Lorsque j’embauche un ouvrier, je m’enrichis. Lorsque j’embauche un domestique, je m’appauvris. »
Lire également le bilan d'Alternatives Économiques sur la politique gouvernementale en faveur de ce secteur, action qui génère la paupérisation salariale de ces emplois.
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