François Fillon n’a cessé de le répéter avec le relais de son équipe ministérielle : «Il faut réformer» ! Il faut même réformer encore plus vite et, d’ailleurs, c’est le message qu’ont envoyé les Français au gouvernement. Et si l’abstention a été importante, si la gauche a infligé une déculottée aux listes de droite, ce serait tout simplement parce que le gouvernement n’a pas su communiquer et faire preuve de pédagogie. Les équipes communicantes ont manqué à leur devoir d’explication des réformes. Etrange, me direz-vous : après les grèves de décembre 1995, cette même droite républicaine invoquait alors ces questions de pédagogie, et re-belote avec Raffarin en 2002. Treize ans écoulés, de prestigieux experts en communication, et toujours pas de solutions pour faire la pédagogie aux citoyens... Serait-ce là un problème aussi redoutable que la démonstration du théorème de Fermat ? Si tel est le cas, en 2104, le président Kévin Sarkozy-Bruni, arrière-petit-fils de notre président actuel, en sera encore à chercher comment expliquer les réformes aux Français.
Mais non, c’est une boutade ! Les Français ont plutôt bien compris les réformes et d’ailleurs, le résultat des municipales en atteste. Ce n’est pas «Champagne pour les uns et caviar pour les autres», formule d’une époque révolue quand Higelin était encore un artiste engagé. La réforme engagée par le gouvernement ne produira pas un bonheur partagé, mais une rigueur pour les uns et des profits pour les autres.
2008 a été comparé à 1983, année charnière et décisive dans l’histoire politique française lorsque la gauche, après tant d’espoir, a dû se résoudre à pratiquer la rigueur et installer quelques réformes, avec Laurent Fabius succédant à André Mauroy. Contrairement à ce que dit la droite, le PS a fait beaucoup de réformes, mais sans le crier sur les toits, discrètement et en s’efforçant de ne pas être brusque. Sarkozy, au contraire, en réformiste décomplexé, se réclame de la réforme et en fait même un cheval de bataille avec son second Fillon. La différence entre 1983 et 2008 ? Aucune, si ce n’est une réforme ostentatoire. Et un travestissement de la rigueur. Bref, la situation inverse de 1983 (mais aussi de 1976) où les gouvernements expliquaient la nécessité de la rigueur tout en cachant la réalité des réformes.
Alors cette «réforme», qu’en ont compris les Français ? Eh bien qu’elle va s’accompagner d’une rigueur risquant de se prolonger et de s’amplifier. Mais attention, cette rigueur n’est pas la même pour tous. Certains sont plus égaux que d’autres face à la rigueur, dirait Coluche. Prenons un étudiant issu des classes moyennes qui trime à la fac pour obtenir sa licence, bossant le soir pour payer son loyer exorbitant. Il sait qu’il aura moins de chance d’obtenir un emploi dans la Fonction publique et que, dans le privé, il sera recruté pour des emplois précaires comme variable d’ajustement. Sa mère, qu’on va imaginer fonctionnaire, connaît bien son boulot et sait que le travail sera plus stressant alors que sa fille bosse déjà dans la Fonction publique comme intérimaire, car les caisses de l’Etat sont vides. Et, d’ailleurs, elle ne pourra quitter le domicile familial car ce n’est pas demain que son emploi sera titularisé.
Dans le privé, les réformes inquiètent aussi. Notamment la «flexi-sécurité». Les travailleurs de ces secteurs ne sont pas dupes : ils savent très bien que lorsque leurs connaissances ou leurs collègues sont licenciés par leur boîte, ils retrouvent un emploi payé un peu ou largement en dessous de leur ancien salaire. Le temps où l’on démissionnait pour un emploi à plus haute rémunération est révolu, même si c’est encore possible de manière marginale pour quelques-uns, plus doués et fonceurs et, de surcroît, bien placés sur un secteur professionnel. Ceux qui ont des ressources moyennes ont aussi compris qu’avec le système des franchises médicales, un engrenage a été mis en place, comme les prélèvements sociaux, cette hérésie fiscale touchant au même taux les profits financiers et les revenus, bas ou élevés. Les plus faibles économiquement parlant seront fragilisés avec ces franchises et comme ils pressentent que d’autres réformes seront votées, ils sont inquiets.
Inutile de multiplier les exemples. On l’aura compris, la réforme est synonyme de rigueur et, donc, si les Français ont sanctionné la droite à l’occasion des municipales, ce n’est pas parce qu’ils n’ont pas saisi les réformes mais, justement, parce qu’ils ont parfaitement compris où elles les mèneront. Et comme ces Français n’ont pas envie de se sacrifier pour une cause qui n’a rien de spécialement moral, alors ils ont voté à gauche. Une cause, la croissance, que les Français pas dupes ont compris qu’elle ne profitera pas à tous et que le «plein emploi» promis par Sarkozy est une supercherie car parmi ces emplois, il y en aura pour survivre, bouffer et ne pas tomber dans la rue. (...)
Les vieux non plus ne sont pas à la fête. Ils sont le signe d’un aboutissement des disparités économiques. Les uns sont pleins aux as, voyagent, tirent profit d’une bonne retraite, d’investissements, avec l’appui du gouvernement qui protège leur situation et même l’améliore au nom de la réforme fiscale. Mais beaucoup vivent d’une pension minable ou du minimum vieillesse revalorisé de seulement un point. Curieusement, beaucoup votent à droite. «Plus ça devient vieux, plus ça devient…» aurait chanté Jacques Brel, et pas seulement en pensant aux bourgeois !
Les vieux friqués, parlons-en justement. Contrairement à ce qu’énonce la vulgate des interprétations officielles de la propagande de droite, l’électorat de l’UMP s’est déplacé dans un secteur singulier, le Sud-Est, avec Marseille sauvée, Aix, Toulon, Nice, Cannes et toutes ces villes où les gens friqués sont surreprésentés et, par conséquent, se sont mobilisés pour élire la droite, sachant que les réformes, même si elles se font attendre, vont dans le bon sens. Ces gens dotés d’un patrimoine conséquent attendant qu’on supprime l’impôt sur la fortune. D’autres qui se plaignent qu’on ne puisse avoir du personnel corvéable à bas prix, certains de pouvoir se faire soigner dans les meilleures cliniques avec les plus grands professeurs, ne comprenant pas qu’on vienne les prélever pour financer cette Sécu et sa CMU profitant aux saltimbanques et autres parasites du système inaptes à travailler, mais décidés à lever leur cul dès qu’il faut se faire soigner.
Les patrons des TPE sont ravis de pouvoir faire bosser des employés au noir, sans aucun risque puisque c’est le principe des heures supplémentaires défiscalisées. Ils apprécient les réformes. Comme cette équipe de recherche à l’université qui, bien placée dans sa spécialité, est ravie de voir ses crédits augmentés, tandis que l’unité voisine va plier boutique faute d’être sur un secteur porteur ; enfin, les tocards de la science vont être sanctionnés et privés de moyens qui seront alloués aux meilleurs. Et ces bourgeois de Neuilly, en attente de réformes fiscales, pour passer une semaine de plus à Courchevel, offrir à leur fils le coupé BMW qui fera son bonheur ! Que la réforme s’accélère ! Que les meilleurs gagnent, que les mauvais rament ! La nécessité de la réforme, c’est Etienne Mougeotte qui en parle le mieux, surtout la suppression de l’impôt sur la fortune, pour faire revenir l’argent des riches chez nous.
(...) Alors, pour conclure, oui, il y a une rigueur, pas un plan de rigueur stricto sensu comme s’il était voulu par un gouvernement ayant cet horizon en tête, mais une rigueur calculée, bien gérée, conçue comme fatalité que la situation économique et financière de la France se prépare à faire peser sur les uns, pour sauvegarder soi-disant une croissance et soutenir les profits qu’on croit être l’avenir des emplois de demain. En exagérant, une rigueur gérée comme une variable d’ajustement, comme le fut le chômage depuis des décennies, et qui sert un improbable progrès tout en protégeant bien des situations acquises dans les classes supérieures, dont les revendications ont été jugées légitimes. Pas comme celles des classes moyennes qui elles, n’ont plus à bénéficier des avantages acquis.
La société moderne repose sur des sacrifices. Le dernier poilu est mort, célébré sans qu’aucun éclairage n’ait été proposé sur ceux qui, bien installés dans les bureaux gouvernementaux, ont diligenté en 1914 ce sacrifice au nom de la patrie, avec son cortège de paysans enrôlés et ses bourgeois bien planqués. La guerre économique en 2008, c’est un peu pareil, elle a ses sacrifiés. (...) Du temps de Raymond Barre, quand la société n’était pas désunie comme maintenant, on pouvait parler de rigueur, comme sous Mitterrand quand les Français faisaient confiance au sens du mot solidarité. En 2008, le mot «réforme» est connoté positivement, laissant entendre un avenir meilleur - mais pas pour tous - et une nécessité, une fatalité imposé par la mondialisation. Enfin, cette rigueur impose des sacrifices, mais, semble-t-il, le sacrifice est un acte parfaitement républicain qu’on apprend d’ailleurs au lycée à l’occasion d’une célèbre lettre lue au début de l’année.
Bernard Dugué pour AgoraVox
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