D'après l'INSEE, le taux de pauvreté serait passé entre 2007 et 2008 de 13,4 à 13%. Cette divine surprise cache en fait des biais statistiques et surtout une augmentation de ce que l'on appelle "les travailleurs pauvres".
Qui aurait cru que le cru «pauvreté» de 2008 en France serait meilleur, car en moindre nombre, que celui de 2007, alors même que la crise commençait à faire ses premiers dégâts chez les intérimaires et les CDD ? Un taux de pauvreté qui passe d'une année sur l'autre de 13,4% à 13%, proche des plus bas historiques de 2004 (12,6%), un nombre de personnes en situation de pauvreté qui diminue de 200.000 d'une année sur l'autre, ne sont-ce pas là des nouvelles réjouissantes, et pas seulement pour le gouvernement ? Hélas, comme dans les promos commerciales, en grattant un peu le vernis, on s'aperçoit que les choses ne sont pas si roses. Pour trois raisons, que nous allons passer en revue.
La première concerne la méthode. L'Insee lui-même l'admet : il y a eu un biais méthodologique cette année. Les données nécessaires pour calculer le seuil de pauvreté, fixé à 60 % du niveau de vie médian, proviennent du dépouillement des déclarations fiscales, auxquelles on ajoute les revenus (sociaux, mais aussi financiers) non imposables à l'impôt sur le revenu. Or, en 2008, la Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF) n'a pas demandé aux familles allocataires, comme elle le faisait d'ordinaire, leurs ressources au 1er juillet, et a donc calculé les prestations sous condition de ressources à partir des revenus au 1er juillet 2006. Aucun réajustement à la baisse n'est donc intervenu pour les familles dont les revenus avaient augmenté en 2008 par rapport à 2007. L'Institut estime que la moitié de la baisse du taux de pauvreté est attribuable à cette raison, purement méthodologique. Une estimation qui semble plutôt sous-estimée, on va le voir.
La deuxième raison s'appuie sur les données européennes. Tous les pays de l'Union européenne sont tenus de réaliser une enquête détaillée (appelée «SILC») sur les ménages, et notamment leurs revenus. Comme dans toutes les enquêtes interrogeant les intéressés, les revenus annoncés sont sous-estimés, pas forcément de mauvaise foi : certains revenus sont exceptionnels, ou versés tardivement, comme les primes de fin d'année, etc. L'enquête revenus fiscaux est donc de meilleure qualité. Mais au moins l'enquête SILC a-t-elle le mérite de fournir des données plus récentes et, parce qu'elle est réalisée chaque année de façon identique, elle ne subit pas les changements méthodologiques signalés ci-dessus.
Que dit-elle pour 2008 ? Que, pour la France, la proportion de personnes dont le niveau de vie est inférieur au seuil de pauvreté a progressé entre 2007 et 2008, passant de 13,1% à 13,3%. La France n'est pas seule dans ce cas puisqu'elle est en compagnie de treize autres pays de l'UE dont la Suède (où le taux de pauvreté a bondi de 10,5 à 12,2%) ou les Pays-Bas, pourtant pays modèle jusqu'alors. Il semble donc que le biais méthodologique signalé par l'Insee soit plus important que ne l'estime l'Institut.
La troisième raison concerne le détail. Là où le diable se cache. Dans l'ensemble, le nombre de personnes de moins de 65 ans vivant en dessous du seuil de pauvreté a diminué de 3% par rapport à 2007, soit 200.000 personnes. Mais, quand on regarde dans le détail, parmi tous les ménages dans lesquels la personne de référence est active (en emploi ou au chômage), on constate une hausse. Voici quelques exemples.
Chez les ménages d'une seule personne (937.000 personnes en 2008), la baisse est de 4,6% pour les hommes inactifs ; mais chez les hommes actifs, la progression du nombre de pauvres est de 6,4%. Même phénomène chez les femmes seules : - 1,2% si elles sont inactives, + 9,6% si elles sont actives. Chez les familles monoparentales : - 6% si les femmes sont inactives, + 6,4% si elles sont actives. Chez les couples : - 15% si l'homme est inactif, + 10,8% s'il est actif et si le couple n'a pas d'enfant (s'il en a, en revanche, le taux de pauvreté diminue, ce qui est sans doute attribuable au mode de calcul exceptionnel des droits aux prestations familiales en 2008). Inutile de multiplier les chiffres. Quelle leçon tirer de ces données ? Tout simplement que, selon toute vraisemblance, le nombre de travailleurs pauvres a augmenté alors même que le nombre de personnes pauvres diminuait. De qualité de plus en plus douteuse (temps partiel, emplois temporaires), l'emploi sauvegarde de moins en moins de la pauvreté, et la crise a sans doute multiplié le nombre d'emplois paupérisants.
Bref, même s'il est vrai que le taux de pauvreté a diminué, ce qui n'est pas totalement avéré, la pauvreté se rapproche de nous, car elle frappe de plus en plus fréquemment des travailleurs, des jeunes, des enfants. Les cocoricos ne sont donc pas de mise.
Denis Clerc pour Alternatives Economiques
Articles les plus récents :
- 13/10/2010 02:23 - La France, paradis des millionnaires
- 07/10/2010 23:14 - La vente directe, dernière ficelle anti-chômage de Laurent Wauquiez
- 07/10/2010 06:19 - Niches fiscales et sociales des entreprises : JACKPOT !
- 05/10/2010 16:58 - Retraites : une réforme aux petits oignons pour les assureurs privés
- 04/10/2010 14:20 - Le partage du travail est une nécessité
Articles les plus anciens :
- 01/10/2010 13:37 - Pour le BIT, pas de reprise avant 2015
- 30/09/2010 01:15 - Le prix de la rigueur
- 28/09/2010 15:23 - Pourquoi travailler si on gagne autant qu'au chômage ?
- 27/09/2010 18:41 - Selon l'Unef, la réforme des retraites va accentuer le chômage des jeunes
- 21/09/2010 16:45 - Les embauches en CDI ne reprendront pas avant 2012