La ministre du logement, Christine Boutin, met la dernière main à un projet de loi qui va faire du bruit dans les cages d'escaliers. Ce texte vise, d'une part, à réduire fortement le nombre de personnes ayant le droit d'accéder aux HLM, et donc à privilégier les plus pauvres. D'autre part à pousser vers la sortie, et donc vers le secteur privé, ceux dont les revenus ont fortement augmenté. Deux objectifs que l'on serait tenté d'applaudir vigoureusement si le projet gouvernemental ne risquait d'avoir des effets pervers : la transformation des cités HLM en ghettos pour quasi-indigents et l'exclusion des ménages modestes, pas assez pauvres pour être admis et pas assez riches pour trouver un toit correct.
Boutin a bien annoncé, dans une interview aux Echos (6/03), qu'une «grande loi sur le logement» serait soumise au Parlement le mois prochain, mais elle a pris soin de ne pas entrer dans les détails. La ministre s'est contentée de promettre «des mesures fortes de mise à disposition de plus de logements sociaux».
Ministre au rapport
Cette disposition de violette ne doit rien au hasard ; «On ne veut pas d'effets d'annonce. Il s'agit d'aller plus vite et d'éviter d'avoir à reculer face aux polémiques», confie un haut fonctionnaire. Pour mettre au point ce texte qui doit encore faire l'objet d'arbitrages, le gouvernement s'est largement inspiré d'un «relevé d'observations provisoires» de la Cour des comptes sur «l'occupation et la gestion du parc locatif social». Ce pré-rapport (lire en commentaire) n'y va pas avec le dos de la truelle : il suggère de baisser de 40% les plafonds de ressources permettant d'être locataires d'HLM. Cette mesure, défendue par Bercy, reviendrait à diviser par deux le nombre de foyers ayant le droit de postuler au logement social.
Dans les réunions interministérielles, Christine Boutin défend - mollement, d'après certains participants - une position moins tranchée et plaide pour une «petite» diminution de 10%, comme l'a écrit le journal en ligne Mediapart. Mais l'Élysée et Matignon réclament un tour de vis plus énergique et une baisse des plafonds pouvant aller jusqu'à 30%. Avantage : une telle mesure, en réduisant de facto le nombre de demandeurs d'HLM, rendrait caduque la promesse de Sarko de construire 100.000 logements sociaux par an et permettrait à l'État de réaliser de sacrées économies.
Ces dernières années, le niveau de vie des locataires d'HLM n'a cessé de baisser : 25% des nouveaux résidents vivent au-dessous du seuil de pauvreté et 60% des occupants appartiennent aux catégories «très sociales». Jusqu'à présent, les critères de revenus étaient fixées de façon à maintenir un minimum de mixité : les deux tiers des foyers fiscaux peuvent légalement solliciter un HLM. Ainsi, le «revenu fiscal de référence» d'un demandeur célibataire va jusqu'à 1.962 € par mois en Ile-de-France et 1.706 € dans les autres régions. Pour un couple avec deux enfants, ces chiffres grimpent à 4.591 € à Paris et 3.308 € en province.
Smicards à la rue
Mais si la diminution de 40% des plafonds proposée par la Cour des comptes devenait effective, ce serait même une bonne partie des Smicards qui se verrait interdite d'HLM. On leur souhaite bonne chance pour trouver un toit ailleurs... La situation ne serait guère plus brillante si la baisse n'atteignait «que» les 30% réclamés par certains conseillers de Sarko et de Fillon. Ainsi, un célibataire dépassant les 1.374 € par mois en Ile-de-France, ou 1.185 € dans les autres régions, ne pourrait plus postuler pour un HLM. Même la «petite» diminution de 10% souhaitée par Boutin ne serait pas indolore. Par exemple, un célibataire marseillais devrait déclarer au fisc moins de 1.536 € par mois pour pouvoir bénéficier d'un HLM.
Autre gâterie prévue par la ministre : l'augmentation des surloyers. La législation actuelle est, il est vrai, absurde : les locataires d'HLM dont la situation professionnelle s'est fortement améliorée paient des surloyers ridicules. Ainsi, un couple avec un enfant qui déclare 5.800 € de revenus par mois ne doit payer qu'une cinquantaine d'euros de surtaxe pour un 60m² à Paris. Mais de tels cas restent l'exception : 1% seulement des locataires d'HLM dépassent de 50% ou plus les plafonds de ressources.
Loyers grand luxe
À l'avenir, ces privilégiés pourraient voir leur surloyer multiplié par huit. Et même, parfois, atteindre jusqu'à 1.680 € par mois de surtaxe pour un 60m². Ce qui revient à une expulsion. Plus gênant, avec une baisse importante des plafonds de ressources, des ménages qui disposent de revenus modestes risquent d'être touchés à leur tour : des revenus légèrement supérieurs au Smic entraîneront-ils une forte hausse du loyer ? Pour toute réponse, le ministère se contente d'un pudique et peu rassurant : «Les arbitrages n'ont pas encore été rendus».
En revanche, les logements de type intermédiaire (et non considérés comme des logements sociaux) devraient continuer à échapper au système des surloyers. Principalement construits en Ile-de-France, ces appartements de bon standing sont loués à la moitié du prix du marché parisien et sont destinés, en principe, aux classes moyennes. Pourtant, comme Le Canard l'a déjà souligné, nombre d'entre eux sont occupés par des cadres supérieurs, des membres de cabinets ministériels et autres pistonnés en tout genre qui disposent de revenus très confortables. Christine Boutin sait tout cela par cœur depuis qu'elle a perdu son directeur de cabinet, Jean-Paul Bolufer. Mais elle a d'autres priorités...
Hervé Liffran pour Le Canard Enchaîné du 26/03/08
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