La fête est finie. Après avoir connu une période faste (près de 4% de croissance pendant une bonne décennie), l’Espagne voit se dessiner l’ombre de la récession. L’inflation galopante (+ 4,6%) prend à la gorge la plupart des familles espagnoles, qui remboursent déjà tant bien que mal des crédits immobiliers qui ont augmenté de 40% en un an.
Jamais les prédictions n’ont été aussi noires pour ce pays modèle de l’Union européenne, théâtre depuis les années 90 d’un développement intensif souvent qualifié de «miracle économique espagnol». Les experts de BBVA, la deuxième banque du pays, prévoient une chute de la croissance, à seulement 1,9% pour cette année, et 1,4% en 2009. Le gouvernement Zapatero continue à utiliser l’euphémisme de la «décélération» pour qualifier la situation. Mais les spécialistes et les médias ne prennent plus de tels gants et parlent d’une «crise sérieuse». Même la Banque d’Espagne, d’ordinaire mesurée, indique que, si la mauvaise conjoncture se prolonge jusqu’en 2009, les institutions financières nationales, réputées pour leur solidité et leur bonne santé, pourraient être en grande difficulté. «Si la situation de sécheresse sur les marchés des crédits s’installe dans la durée, dit l’expert Malo de Molina, j’ai des craintes pour de nombreuses banques.»
Bulle. Le principal talon d’Achille de l’Espagne, c’est la construction, qui a représenté 16% de son PIB et 20% de l’emploi. Peu à peu ce secteur, pilier de l’économie, s’affaisse alors que la bulle immobilière commence à se dégonfler. La semaine dernière, le FMI a estimé que le logement dans le pays était surévalué de l’ordre de 20%. «La bulle immobilière fait que l’Espagne est particulièrement vulnérable à la crise mondiale», a déclaré dans El País Alan Greenspan, ancien directeur de la Réserve fédérale américaine. L’an dernier, la moitié des sociétés immobilières ont déposé leur bilan. Depuis janvier, pas une semaine ne se passe sans que d’autres connaissent le même sort, comme ce fut le cas récemment d’Encoval, de Labero ou Llanera, dans la région valencienne. La puissante Martinsa soupire de soulagement alors que ses créditeurs viennent in extremis de reconduire sa dette de 5,1 milliards d’euros. Sur la côte valencienne, un autre symbole de la prospérité issue du ladrillo (la brique) est en sursis : le vaste complexe résidentiel Marina d’Or, de Jesus Ger, qui vaut 6 milliards d’euros (40.000 logements, 6 hôtels, 3 terrains de golf), a vu ses ventes chuter de 60% et a mis à la porte 1.000 salariés.
Et le pire serait à venir… Car la récession immobilière suppose un coût social aux lourdes conséquences. Jusqu’alors, on construisait 800.000 logements par an - soit plus qu’en Allemagne, en France et en Grande-Bretagne réunies. On parle pour l’an prochain de 300.000 seulement. D’après BBVA, cet effondrement va supposer à moyen terme 400.000 suppressions d’emploi, une main-d’œuvre que les autres secteurs auront du mal à absorber. Si bien que le chômage, qui ne cesse de baisser depuis quinze ans (autour de 8% de la population active), pourrait frôler 10% en 2009, craint la banque d’Espagne.
Cadeaux sociaux. Dans son discours d’investiture, José Luis Zapatero, réélu chef de gouvernement, a bien sûr axé l’essentiel de son discours sur des mesures choc pour limiter la casse sociale : hausse du salaire minimum à 800 €, indemnités logements pour les jeunes, injection d’1,5 milliard d’euros pour promouvoir le logement subventionné et la location, ou encore remise fiscale de 400 € pour la plupart des contribuables… Des «cadeaux» sociaux donnant de l’oxygène à des ménages croulant sous les dettes et censés doper la consommation, en chute libre. «L’ennui, dénonçait hier ABC, un quotidien conservateur, c’est qu’à ce rythme, notre gros excédent budgétaire (2,2% du PIB, environ 25 milliards d’euros) va disparaître en moins de deux ans ! Que fera-t-on avec les caisses vides ?»
(Source : Libération)
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