Un mot tout bête, mais suffisamment flou pour alimenter les fantasmes de quelques-uns et les cauchemars des autres. C’est ainsi que «raisonnable», l’un des termes les plus consensuels de la langue française, est devenu un qualificatif polémique. Tout est parti d’une toute petite phrase du président de la République. Celui-ci a indiqué que son gouvernement présenterait «dans les jours qui viennent, un texte pour tirer les conclusions du refus par un demandeur d’emploi de deux offres d’emploi raisonnables». Que chacun se débrouille avec ça. Polémiqueurs et prospectiveurs, à vos plumes et micros. Ce qu’ils firent, et très largement.
Premier réflexe : tenter de comprendre ce que peut bien cacher un «emploi raisonnable». Réflexe classique de tout journaliste confronté à une telle question : s’en aller faire le siège du ministère de l’Emploi et de son secrétaire d’État. Une requête qui a pris des allures de bizutage pour le très fraîchement nommé Laurent Wauquiez, qui vient de récupérer le maroquin, fort de son succès au municipales. Le fringant jeune ministre s’est lancé dans une tentative d’explications sur la plupart des ondes nationales. Selon lui, «raisonnable, cela veut dire grosso modo dans la branche professionnelle dans laquelle vous êtes». Évidemment le «grosso modo» a fait tiquer ses interlocuteurs. Et le ministre de leur répondre. «On peut aussi permettre de rebondir dans une branche plus dynamique». Fermez le ban, on n’en saura pas beaucoup plus. Quelles sont les compétences qu’il faudra «raisonnablement» laisser de côté ? Quelle sera la part de salaire qu’il faudra «raisonnablement» abandonner ? Et quelles seront les sanctions «raisonnables» que subiront les rebelles ? Sur ces points, le nouveau ministre envoyé au casse-pipe n’avait pas de réponses et ne pouvait que renvoyer tout ce petit monde au 6 mai prochain, jour de réunion programmé avec les partenaires sociaux pour discuter de ces questions.
Alors, comme à chaque grande envolée de petite phrase inachevée, c’est la rumeur qui achève le boulot. Et certains de se demander, quand d’autres l’affirment, qu’il faudra se contenter de 70% de son ancien salaire. Et que du côté des sanctions en cas de refus, la radiation pure et simple sera appliquée. Plus sereinement, nous attendrons mercredi 16 avril, date d’une réunion interministérielle programmée sur le sujet, et la fameuse concertation du 6 mai pour y voir plus clair. À moins que d’ici là, l’affaire ne retombe comme le soufflet d’un rapport Attali ou la fausse suppression d’une carte «famille nombreuse».
En attendant, on peut toujours se plonger avec délices dans un dictionnaire. Et que nous proposent les héritiers du bon Monsieur Larousse en guise de synonyme de «raisonnable» ? «Suffisant», bien sûr. Un job suffisant à un salaire suffisant. Voilà en tout cas un mot, et une décision, qui risque de marquer un tournant dans le quinquennat. Car il n’est pas vraiment dans l’ambitieuse ligne souhaitée depuis un an et qui consiste à travailler plus pour gagner plus. Ce qui, vu la récession qui se profile, est de moins en moins raisonnable.
Un édito bien senti signé Sylvia Di Pasquale pour Cadremploi.fr
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