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Privatiser les gains, mutualiser les pertes
A l'instar des Britanniques qui ont mis en œuvre la «nationalisation temporaire» de leur banque Northern Rock en février, pour sortir du marasme Fanny Mae et Freddy Mac, «victimes» de la crise des subprimes et qui, réunis, détiennent ou garantissent quelque 5.400 milliards de dollars de titres hypothécaires, soit 45% de l'encours des prêts immobiliers accordés aux Etats-Unis, le Trésor américain — donc, les contribuables… — va lâcher la somme colossale de 200 milliards de dollars [137 milliards d’€]. Ce sauvetage de sociétés privées sur fonds publics pourrait s'avérer le plus coûteux jamais mené dans le monde !
Rien de plus logique que le fonctionnement du capitalisme financier, par essence «innovateur» quand il s'agit de contourner les règles, tels les cafards qui s'adaptent aux insecticides (cela s'appelle la «dialectique réglementaire»). On privatise quand l'entreprise est profitable, on nationalise pour faire éponger les dettes par la collectivité... Quand il s'agit de réguler le marché afin de servir l'intérêt général, les ultralibéraux estiment toujours qu'il y a «trop d'Etat». Mais quand les dégâts du libéralisme économique nécessitent une bouée de sauvetage, heureusement que l'Etat est là, isn't it ? Yes, it is.
Les vraies victimes laissées sur le carreau
Le Fonds monétaire international (FMI) a salué l'initiative de l'administration Bush, estimant qu'elle allait «contribuer à soutenir les marchés et, par conséquent, les perspectives économiques et financières». Les «marchés» mériteraient donc qu'on les soutiennent malgré leurs comportements véreux. Il faut donc continuer à stimuler un système économique et financier sans morale ni avenir, axé sur la quantité pour une poignée au détriment de la qualité pour tous.
Par contre, tout le monde se fout des deux millions de homeless qui se sont fait arnaquer et ont été expulsés de leurs logements. Tout le monde se moque de ce drame social à grande échelle qui a provoqué l'effondrement de l'immobilier américain, la remontée du chômage, et une crise financière internationale.
Pourtant, une mesure radicale aurait pu être prise immédiatement : il aurait fallu moins de 200 milliards de dollars pour permettre à toutes ces familles de racheter leur bien, ce qui aurait évité cette grave crise immobilière, maintenu le système financier, et évité que des centaines de milliers de gens ne se retrouvent à la rue et deviennent des «assistés». Mais — pensez-vous — verser de l'argent aux pauvres pour préserver l'économie, ça ne se fait pas ! Impensable ! Pourtant, même prêtée à taux zéro, l'addition aurait été moins salée.
L'immoralité récompensée
C'est là qu'on mesure le fossé de plus en plus immense entre l’«économie réelle» et l'économie spéculative. L’«intérêt général», aux yeux de ces «pompiers» de la finance que sont la FED, la Banque d'Angleterre ou le Trésor américain, c'est que la machine infernale puisse continuer à tourner, pas que le petit peuple s'en sorte : c'est pourquoi ils portent secours aux incendiaires, pas aux incendiés (petits propriétaires, nouveaux chômeurs, et ménages-contribuables). On préfère céder des milliards à une poignée d'enfoirés qui, même s'ils ont été plus ou moins «vertueux» dans cette affaire, vont pouvoir, une fois la crise passée et jusqu'à la prochaine, continuer à jouer les apprentis sorciers — c'est-à-dire «innover» afin de dégager un maximum de profits en un minimum de temps — en toute impunité !
Ainsi, au lieu de protéger les citoyens, les policiers américains continuent de distribuer des avis d'expulsion à la pelle. Au lieu de permettre à tous les Américains d'avoir une couverture médicale, y compris les 30.000 sauveteurs qui ont participé au déblaiement du World Trade Center et qui sont devenus malades ou invalides, l'argent public est dilapidé. Et après, on va s'étonner que les peuples ne croient plus aux bienfaits de la mondialisation, de l'économie de marché, et fassent même preuve de défiance envers leurs élites et leurs instances dirigeantes ?
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Commentaires
Puisque, depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, on n’avait pas enregistré de baisse des prix dans l’immobilier aux Etats-Unis, les acteurs privés comptaient sur une hausse des valeurs immobilières US. Et donc, si un emprunteur ne pouvait plus rembourser, on pouvait toujours revendre la propriété en enregistrant du même coup une plus-value. La martingale semblait infaillible. Et on a assisté à une véritable explosion des crédits dits "subprimes" aux Etats-Unis tout au long des années 2000. "En 2006, les crédits "subprime" ont représenté 24% des nouveaux crédits immobiliers octroyés aux Etats-Unis. En fin d’année, leur encours atteignait près de 13% du total des crédits hypothécaires aux Etats-Unis (10.200 milliards de dollars) contre 8,5% en 2001". Depuis, comme chacun le sait, l’histoire a tourné court. Pourquoi ?
La hausse des taux d’intérêt décidée par la Federal Reserve (FED, banque centrale des Etats-Unis) conjuguée à la variabilité des taux des crédits subprime a entraîné celle des taux des crédits immobiliers. Ce qui a fragilisé les possibilités de remboursement des ménages concernés par les subprimes. Mais qui dit taux d’intérêt plus élevés dit, également, diminution de la demande pour des biens immobiliers. D’où, baisse des prix des valeurs immobilières. Bref, les agences de crédit ne pouvaient plus se rembourser grâce aux biens des clients insolvables. La descente aux enfers des marchés financiers pouvait alors commencer. Avec quels impacts sur Fannie Mae et Freddie Mac ?
A lire dans ALTERNATIVES INTERNATIONALES Répondre | Répondre avec citation |
Créées en 1938 par Roosevelt dans le cadre du New Deal, elles ont été privatisées en 1968 et en 1970. Répondre | Répondre avec citation |
Le refus de toute réglementation vue comme une entrave à l’innovation financière, la malhonnêteté des banques et des entreprises qui ont déployé des trésors d’ingéniosité pour contourner les règles existantes, et l’incompétence de la part des décideurs : voilà, selon Joseph Stiglitz (The Guardian - 16 septembre 2008), quelles sont les causes de cette crise, dont l’incompétence des responsables américains actuels rend l’issue toujours incertaine. Restera, quoi qu’il en soit, à régler la facture des errements de la finance, et c’est à la collectivité que cela va incomber.
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