Non seulement Eric Woerth continue à faire fi de la déclaration commune des partenaires sociaux de l'assurance-chômage qui demandent à ce que le gouvernement respecte le dialogue social et qu'on les laisse négocier, mais il s'enlise dans une vision totalement erronée du problème du financement des retraites (et de la protection sociale en général) dont la réforme Fillon, échec patent, est l'emblème.
L’argent du chômage doit-il financer les retraites ? NON, écrivait Jacques Bichot, économiste et professeur à l’université Jean-Moulin (Lyon III) dans www.libertepolitique.com :
Le ministre du Travail vient de le confirmer : «Le gouvernement va rapidement discuter avec le nouveau président de l’Unedic et les partenaires sociaux de la nécessité d’augmenter, dès 2009, les cotisations retraite en diminuant de manière concomitante les cotisations chômage.» Mais ce «nouveau président» de l’Unedic, Geoffroy Roux de Bézieux, ne s’apprête pas à dire amen : il estime qu’il ne faut «surtout pas» transférer les excédents de l’assurance chômage sur les retraites, rappelant que l’assurance chômage a accumulé 9,5 milliards de dettes pendant ses années de déficit et qu’il «faut d’abord commencer par le rembourser».
Et après ? L’Unedic devrait, selon lui, «créer une caisse de réserve», puis éventuellement diminuer les cotisations et améliorer l’indemnisation du chômage. Il refuse en tous cas énergiquement de «mélanger tous les comptes».
Il s’agit là d’un vrai débat. Pour l’éclairer, que nous dit l’analyse économique ?
En premier lieu, le système de protection sociale joue un rôle de «régulateur conjoncturel automatique» dont l’assurance chômage est l’élément central. Qu’entend-on par là ? Les cycles économiques, c’est-à-dire l’alternance de périodes de forte croissance et de phases de croissance ralentie, voire négative, ne sont pas complètement évitables, mais il est souhaitable d’atténuer la violence de ces fluctuations conjoncturelles en soutenant l’activité et la dépense lorsqu’elles sont faibles, et en les freinant quand elles risquent d’entraîner de la «surchauffe» : inflation, dégradation de la solvabilité, phénomènes qui sont souvent suivis par un brutal retournement de tendance — une récession douloureuse.
Quand on veut agir sur la conjoncture pour la régulariser (action «contracyclique»), le problème est de ne pas arriver en retard. Or le temps qu’un gouvernement prenne conscience que l’activité décélère, qu’il prépare un texte de loi, le fasse voter, publie des décrets d’application et fasse mettre en œuvre les mesures prévues, une phase de croissance forte a souvent succédé à la croissance molle ou négative. Ainsi, la lenteur de l’action publique transforme-t-elle une politique «volontariste» contracyclique en amplificateur de fluctuations !
En revanche, lorsque l’activité décélère et a fortiori si elle ralentit, l’assurance chômage n’a besoin d’aucun nouveau texte pour indemniser les chômeurs qui affluent : en dépensant alors davantage qu’il ne rentre de cotisations, elle soutient la demande au bon moment. Ensuite, quand l’embauche redémarre, les chômeurs deviennent moins nombreux, les dépenses de l’Unedic diminuent, il y a retour à l’équilibre, puis excédent; les emprunts sont remboursés, les réserves reconstituées : l’organisme, en épargnant, freine la demande au moment où elle est trop forte, et se prépare pour jouer à nouveau son rôle de distributeur de revenus quand surviendra une nouvelle phase de croissance faible.
Sans se référer explicitement à l’analyse économique, M. Roux de Bézieux se situe exactement dans cette perspective. En demandant au gouvernement de respecter le rôle de stabilisateur automatique qui fait partie de la mission de l’Unedic, il assume ses responsabilités, non seulement celles de gestionnaire d’un organisme semi-public, mais aussi celles de responsable d’une composante importante de la protection sociale, la plus engagée dans la régulation des fluctuations économiques.
En deuxième lieu, le président de l’Unedic demande de ne pas «mélanger tous les comptes». Sur ce point également, il a raison. Supposons que l’on transfère des points de cotisation de l’assurance chômage vers la branche vieillesse : que se passera-t-il si un jour le chômage cesse de diminuer, repart à la hausse ? Ce n’est hélas pas le volontarisme gouvernemental qui l’en empêchera ! À ce moment là, alors que l’assurance vieillesse connaîtra des problèmes car les cotisations rentreront moins bien, il faudra augmenter à la fois les cotisations chômage et retraites, ou s’attirer les foudres de Bruxelles en laissant filer le déficit.
Hélas, compter sur le transfert de cotisations d’une branche à l’autre était l’idée centrale de la soi-disant réforme des retraites réalisée en 2003. Le système des vases communicants est la grande ressource de ceux qui veulent ne pas faire grand chose en réalité, tout en donnant l’impression qu’ils s’activent et résolvent les problèmes : ils bouchent un trou en en creusant un autre.
Le drame est que, à l’exception de la réforme de 1993, rien de sérieux n’a été fait pour assurer l’équilibre financier de la branche vieillesse. Les économistes savent ce qu’il faudrait faire, qu’ils soient de gauche comme de droite, mais les pouvoirs publics ne souhaitent pas entendre ce qu’ils ont à dire.
En s’opposant à ce que le gouvernement et le chef de l’État jouent une fois de plus à déshabiller Pierre pour habiller Paul, au lieu de prendre les mesures nécessaires pour que la totalité de notre système de protection sociale soit modestement mais correctement vêtu, le président de l’Unedic rend un réel service à la nation. Mais pourra-t-il faire davantage que le Charles de Gaulle quand, durant la débâcle de 1940, il prit le contrôle d’une brigade de chars en déroute et lui fit remporter quelques succès ? Un colonel, si intelligent soit-il, ne peut inverser le cours des évènements que l’impéritie du haut commandement a rendu inéluctable.
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