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Accueil Social, économie et politique Partager le profit pour réduire… le coût du travail

Partager le profit pour réduire… le coût du travail

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Sur le très emblématique «partage des profits» qu'appelle de ses vœux notre cher Président par le biais d'une racoleuse «règle des trois tiers» (investissement, actionnaires, salariés), voici que s'est exprimée la ministre de l'Economie, quitte à lui déplaire. Et, pour une fois, elle n'a pas dit que des conneries !

Comme avec sa non moins emblématique «valeur travail» qu'il a mise au goût du jour afin de flatter la crédulité d'un électorat salarié, face à "la crise", Nicolas Sarkozy donne à nouveau l'illusion de vouloir réparer une injustice faite aux travailleurs et augmenter leur «pouvoir d'achat». S'inspirant du partage des richesses prôné par la gauche, il avance un hasardeux «partage des profits» aussi restrictif que trompeur [1] (mais on n'est plus à une imposture près)...

Après avoir commandé un rapport sur la question, Nicolas Sarkozy a botté en touche, refilant la patate chaude — car c'en est une, et gratinée — aux «partenaires sociaux» pour qu'ils s'en débattent et trouvent un accord d'ici le 15 juillet, sinon «l'Etat prendra ses responsabilités en légiférant» (on connaît la chanson)...

Une contradiction sarkozyenne

Cette brave Christine Lagarde, hier sur Canal+, a osé déclarer que la «règle des trois tiers» proposée par le chef de l'Etat était impossible à appliquer systématiquement. Rassurez-vous, on est loin du «couac gouvernemental», Marie-Antoinette étant somme toute restée très mesurée. Elle s'est limitée à certains aspects techniques afin de ne pas ouvrir la boîte de Pandore.

Vu comme ça, au contraire, Dame Lagarde est même en parfaite adéquation avec l'esprit du «plan de relance» de son Président adoré, qui mise avant tout sur l'investissement pour sortir de la crise : elle a donc, à juste titre mais sans aller trop loin, défendu celui des entreprises. Quitte à mettre le doigt sur cette petite incohérence présidentielle.

Une aberration économique

Mais cette incohérence est en réalité monumentale. Dommage que Christine Lagarde, pourtant ministre de l'Economie, ne dévoile pas ses compétences en la matière... Car ce qu'elle ignore ou tait, c'est que ramener au tiers la part d'investissement des entreprises dans leurs profits revient à diminuer de 56 milliards d’€ l'autofinancement des investissements : impensable !

Déjà que cet autofinancement est vampirisé, depuis une vingtaine d'années, par le parasitisme actionnarial (ce que montre, justement, le rapport Cotis mais sur ce sujet tabou, à l'image de Mme Lagarde, l'Elysée affiche un silence pudique). La baisse continue des investissements sur deux décennies a eu des conséquences néfastes sur l'emploi, pas besoin de sortir de Saint-Cyr pour le constater : Nicolas Sarkozy veut-il à ce point les aggraver ? Voudrait-il saboter sa promesse d'un «retour au plein emploi en 2012» qu'il ne s'y prendrait pas autrement...

L'enfer est pavé de bonnes intentions

Pour clarifier les choses :
1- Le profit, c'est ce qui reste aux entreprises lorsqu'elles ont vendu leur production, réglé leurs fournisseurs et leurs impôts, puis payé leurs salariés et acquitté les cotisations sociales (ce qu'on appelle la «masse salariale»). En 2007, les entreprises françaises non financières ont dégagé 214 milliards d’€ de profits.
2- Dans le PIB, la part de la masse salariale représente 67% (10 points de moins depuis 1982) et la part du profit 33% (inchangée depuis le pic de 1989 et conséquence du basculement de cette répartition en sa faveur, amorcé en 1982 par l'instauration progressive d'un gel des salaires, d'un chômage de masse et d'une précarisation de l'emploi).
3- Quant au partage du profit, il va d'abord à l'investissement (57%, une chute de 18% depuis 1990 en faveur du parasitisme économique, suivez mon regard => =>), aux actionnaires (36%, soit une hausse de 14% sur la même période : chapeau, les vampires !) puis aux salariés sous forme de participation, d'intéressement ou d'épargne salariale (7%).

Ces dispositifs, passés de 2,5% en 1990 à 7% aujourd'hui, sont non seulement aléatoires mais inégalitaires. De plus, même si certains d'entre eux sont soumis à l'impôt, ils échappent aux cotisations sociales. Et leur progression n'est qu'un vague lot de consolation [2] à côté de la spoliation en règle que le salariat subit depuis les années 80 : 53 milliards d’€ par an, selon l'hypothèse basse de l'économiste Frédéric Lordon.

Le diable se cache dans les détails

Pour Alternatives Economiques, l'idée de Nicolas Sarkozy consistant à ramener au tiers les rémunérations tributaires des profits est «au mieux une chimère, au pire une menace pour les salariés». Elle consiste à faire croire à une avancée afin de mettre en place un recul social majeur.

Car, jusqu'à présent, ces formes résiduelles de supplément de revenu ont permis d'éluder autant que possible la question fondamentale de l'augmentation des salaires (dont on rappelle qu'ils ne dépendent pas des résultats des entreprises). N'oublions pas non plus que l'envie d'en finir avec le Smic sommeille dans un coin de cerveau du président Sarkozy : dans la foulée, d'ici 2012, il pourrait bien la réveiller. Grâce à la «règle des trois tiers», la part des salariés dans le partage des profits bondira de 7% à 33%, soit plus de 70 milliards d’€ à redistribuer si on se base sur les performances… de 2007. Ces sommes considérables — mais très fluctuantes — risquent à terme de se substituer au salaire fixe, réduit progressivement à la portion congrue. Le phénomène s'appliquera en premier aux précaires et à ceux qui prendront un nouvel emploi : on va leur imposer un fixe minimum tout en leur faisant miroiter ces rémunérations de complément (comme pour les commerciaux dont l'essentiel de la paie se compose de primes).

Plus fort que la flexibilité de l'emploi, Nicolas Sarkozy tente d'instituer la flexibilité du salaire. Et sa «règle des trois tiers» est bel et bien une manœuvre visant à faire chuter drastiquement le coût du travail — donc la masse salariale — pour les employeurs, avec des répercutions 100% dévastatrices sur les recettes de la protection sociale. En cela l'homme est cohérent; lui qui, grâce à "la crise", est devenu à tort l'incarnation d'un «modèle français» qui s'en tire mieux que les autres alors qu'il est, toujours viscéralement, l'un de ses plus farouches détracteurs. Hors de nos frontières, il parade en prônant sa croisade contre «le laisser-faire capitaliste» mais dans l'exercice du pouvoir, il continue sur sa lancée : démantèlement et privatisation rampante des services publics, assèchement de la protection sociale, politique fiscale irresponsable, creusement des déficits publics, réformes libérales et anti-sociales «à l'anglo-saxonne»...

Un accord impossible

Pour les partenaires sociaux qui récupèrent ce dossier empoisonné, l'affaire est complexe. Avant de signer quoi que ce soit, ils ont chacun intérêt à se munir de calculettes, voire faire appel à des experts afin d'évaluer au mieux ce qu'ils gagneront ou perdront dans ce houleux système de vases communicants. D'emblée, le patronat risque de refuser — surtout en ce moment — de se faire amputer des 56 milliards d’€ destinés à ses investissements, car la compensation en terme de coût du travail, même si elle lui est hautement favorable, ne prendra effet que dans les années à venir et, pour l'instant, c'est l'incertitude qui prime. (Une fois de plus, on voit que Nicolas Sarkozy lance à la cantonade des réformes malvenues qui ne tiennent absolument pas compte de la crise.) Et il reste à espérer que la délégation syndicale ne sera pas naïve au point de succomber à cette carotte dont la dangerosité est inversement proportionnelle à l'énormité.

Le mieux, en effet, est qu'aucun accord n'aboutisse et que «l'Etat prenne ses responsabilités en légiférant» : il est alors probable — restons optimistes… — que les parlementaires, face à de telles aberrations et à une telle complexité, reportent ce projet fortement inadapté au contexte actuel. Mais la graine est semée. Affaire à suivre, donc, et de très près.


[1] Le partage des richesses, c'est avant tout le rééquilibrage d'au moins 3 points de PIB de la part des salaires dans la valeur ajoutée des entreprises doublé d'une réforme de l'assiette des cotisations sociales, et le rétablissement d'une justice fiscale (abolition du fameux «bouclier» et autres nombreuses «niches», progressivité et redistributivité de l'impôt, lutte contre l'évasion et ses paradis).

[2] En 2006, près de 14 milliards d’€ ont été distribués au titre de la participation et de l'intéressement à quelque 9 millions de salariés. En 2007 le gâteau s'est légèrement réduit, avoisinant les 12 milliards. Avec la crise, il s'avère que 2008 sera une année noire pour ces modes de rémunération : on vous laisse imaginer ce qu'il en sera en 2009 ou 2010... Parler de chimère est donc réaliste.

SH

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Mis à jour ( Vendredi, 15 Mai 2009 02:41 )  

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