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Accueil Social, économie et politique «Le RSA, c’est quand on travaille et qu’on ne s’en sort pas»

«Le RSA, c’est quand on travaille et qu’on ne s’en sort pas»

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Telle est la définition, parfaitement honteuse mais livrée avec une franchise désarmante, du Revenu de solidarité active selon Martin Hirsch… et l'agence Euro RSCG C&Co qui lui a conçu, pour la modique somme de 250.000 €, les deux spots publicitaires qu'on commence à voir à la télé. Gros comme une maison, à elle toute seule, cette définition est un pur aveu de régression sociale érigée en norme. Mais qui va s'en rendre compte et même s'en indigner ?

«Je m'appelle Marc. Ce travail, j'ai mis du temps à le trouver, alors j'y tiens. Je suis au Smic. Mais on est quatre sur mon salaire, moi, ma femme et nos deux enfants. Alors, c'est pas facile. Le RSA justement, c'est quand on travaille et qu'on ne s'en sort pas. Ça va bien nous aider, c'est sûr.»



Si le personnage de Marc est interprété par un comédien, ils sont, en France, au moins 7 millions de vrais «travailleurs pauvres» qui en chient toute l'année ET C'EST NORMAL. Oui, normal : tel est le message implicite dilué dans ce spot. Travailler et ne pas s'en sortir est un fait établi qui ne souffre aucune contestation. C'est rentré dans les mœurs et, pour bien enfoncer le clou dans la tête des derniers récalcitrants, on nous le martèle sous forme de pub TV.

Résignation et soumission, les deux règles d'or

Parce que «ce travail, j'ai mis du temps à le trouver, alors j'y tiens». T’as raison, faut s'accrocher aux branches ! Subir, à n'importe quel prix. Résigne-toi «au Smic», y’a rien d'autre : de nos jours, c'est ce que propose la majorité des employeurs. Eux aussi souffrent de "la crise", tu comprends : on n'y peut rien, faut pas trop leur en demander, déjà qu'avec tout ce chômage il y en a qui te filent du boulot ! Contente-toi du minimum (et surtout pas syndical), hein, parce que c'est dur pour tout l’monde, faut se sacrifier un peu. Et puis "la crise", t'en fais pas, elle va passer... Ceux qui te disent qu'elle est systémique et qu'il faut tout péter sont des mauvaises langues.

Plutôt un boulot qui ne permette pas de vivre qu’être désœuvré !

Car le chômage, c'est l'infamie. Vivre sans travailler c'est la honte et, d'ailleurs, quel sens donner à sa vie si on n'a pas de travail, hein ? Outre ceux qui ont peur de ne pas savoir comment occuper leur temps, on en voit même qui préfèrent aller bosser à perte en acceptant un poste dont le salaire est largement inférieur à leurs allocations, tout ça pour préserver leur «employabilité» ou alors… leur «dignité» (si si) !

Mais, soyons logique. Ce qui est normal, c'est d'être pauvre parce qu'on est au chômage, non ? Eh bien vous avez tort : maintenant, dans nos sociétés modernes, il est aussi normal de rester pauvre tout en travaillant. C'est même vivement conseillé ! «On est quatre sur mon salaire, moi, ma femme et nos deux enfants. Alors, c'est pas facile.» Mais la bonne volonté d'un homme enfin sorti des chiffres du chômage, le courage pathétique de l'exploité ainsi montrés en exemple à des millions de téléspectateurs compatissants — cette soumission/adhésion à l'inconcevable, cette idéologie sournoise de la régression sociale — mérite que Martin Hirsch leur consacre 2,2 millions d’€ d'espaces publicitaires.

«Ça va bien nous aider, c'est sûr»

Revenons à Marc dont on ne précise pas les compétences (ce n'est qu'une pub, on ne s'encombre pas de détails). On ne nous dit pas si leur niveau, supposé bas, justifie la pitance qu'il reçoit mais il nous semblait qu'à une époque pas si lointaine, un cariste valait nettement plus que le salaire minimum... Pour vous donner une idée du niveau des offres qu'on propose aux chômeurs, je vous laisse admirer celle-ci, un vrai cas d'école : pour le Smic, on demande un chargé de communication qui a tout du mouton à cinq pattes ! Mais ce n'est pas une émanation de l'agence Euro RSCG C&Co, non : dans la com’ pur sucre, en général, on préfère les stagiaires gratuits.

Sachez que ce type de proposition n'est pas du fait de "la crise" et pullule déjà depuis plusieurs années, côtoyant une majorité écrasante d'offres pour des emplois de plus en plus précaires. Mais désormais, grâce à Martin Hirsch, tous ces «bons pauvres» qui feront l'effort de se lever tôt pour aller gagner trois francs six sous en seront récompensés. Le «complément RSA» est censé «accroître» leurs ressources de… 100 € par mois en moyenne, soit nettement moins que les dispositifs auxquels il succède. C'est sûr, empocher 100 € contre la suppression de quelques droits connexes, faute de sortir ces gens de la dèche, ça va surtout aider… le gouvernement à apurer ses statistiques de la pauvreté, pardi !

Le RSA, ça sert à quoi ?

On dit que le travail émancipe. Normalement (je dis bien normalement, car une fois encore c'est plutôt l'inverse qu'on érige en généralité), la grande majorité des chômeurs ne demande qu'à travailler pour sortir de l’«assistanat» dans lequel on les accuse de se vautrer. Mais avec le RSA, non seulement c'est l'aumône mais c'est l'assistanat… à durée indéterminée. «Le RSA, ça sert à ça» : comme bientôt feu la PPE, comme les contrats aidés, comme les exonérations de «charges» patronales en dessous de 1,6 Smic, sous couvert d'aider les travailleurs pauvres et les chômeurs, sa véritable finalité consiste à permettre aux employeurs d'accroître la flexibilité et maintenir les rémunérations au plus bas.

Aujourd'hui (et ce, bien avant "la crise"), le travail ne paie plus. C'est même une volonté politique. Le téléspectateur sera-t-il sensible à cette évidence, pourtant criante dans le spot publicitaire ? Sera-t-il ému du salaire misérable consenti à ce père de famille ? Sera-t-il choqué par sa tranquille résignation ? Lui restera-t-il assez de cervelle pour s'en indigner et trouver anormal que l'Etat — donc, le contribuable — y aille de sa poche pour distribuer des miettes aux victimes de ce scandale économique et social alors que la meilleure chose à faire, c'est d’AUGMENTER LES SALAIRES ?

Mais non, suis-je bête : augmenter les salaires en temps de "crise", c'est impensable !
Cette "crise", décidément, quelle aubaine.

SH
Mis à jour ( Dimanche, 22 Avril 2012 23:21 )  

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