Un des effets les plus impressionnants de la mondialisation est qu’elle nous aura fait entrer, en politique comme en économie, dans l’ère du cynisme affiché et même revendiqué.
Bien sûr, la politique, qui est recherche du pouvoir (parfois comme fin en soi, parfois au service d’une grande vision) a toujours été, par nature, cynique, sans scrupules, ne s’interdisant aucun moyen. Bien sûr, le capitalisme qui est, par nature, recherche du profit (parfois comme fin en soi, parfois au service d’un grand projet industriel), est, par nature, cynique, sans scrupules, ne s’interdisant aucun moyen.
Mais tous deux avaient longtemps dissimulé ce cynisme derrière des justifications (auxquelles ils croyaient ou non, selon les cas) : et c’est ce besoin de se justifier qui a disparu.
Comment considérer autrement que comme un cynisme affiché le fait que les parlementaires, après avoir voté des lois sur le financement des partis politiques qui plafonnaient les dons qu’ils pouvaient recevoir, mettent ouvertement en place des systèmes (création de partis fictifs pour recevoir des dons supplémentaires) destinés à contourner les lois qu’ils ont eux-mêmes votées, sans chercher à justifier cette extraordinaire contradiction, ni à masquer le message qu’elle véhicule : «Les lois que je vote, j’en ai rien à cirer» ?
Quant au capitalisme, surtout dans le monde protestant, il a longtemps été soutenu par le discours moralisateur, quasi-religieux, de la réussite méritée de ceux qui travaillent plus que les autres et prennent des risques. Or, avec les parachutes dorés négociés à l’embauche, cette relation entre richesse et performance a volé en éclats : le montant du parachute est fixé au départ, et sera le même en cas de réussite ou d’échec; ceux qui ont mené leur société à la catastrophe l’encaissent de la même façon que ceux qui ont obtenu des résultats brillants; la fortune ne dépend plus du travail et des résultats, elle ne se cherche plus des justifications morales.
Et c’est bien cela qui a changé : à ceux qui leur font remarquer ces contradictions flagrantes qui réduisent à néant leurs justifications passées, que répondent politiques et grands leaders capitalistes ? Un bras d’honneur : «Empêchez-nous de continuer, si vous en êtes capables !»
Et ils ont raison, car la mondialisation nous empêche de faire quoi que ce soit : la politique n’attire plus, comme l’écrivait Régis Debray, que «ceux qui rêvent d’une voiture avec chauffeur» car, pour ce qui est de mettre en œuvre un dessein, la mondialisation a réduit sa marge d’action à presque rien, et être élu est devenu l'unique motivation restante. Le capitalisme n’attire que ceux qui cherchent à devenir riches pour plusieurs générations en cinq ans, de plus en plus nombreux que ceux qui cherchent à bâtir un projet industriel durable et ambitieux.
Et, tant que nous n’aurons pas trouvé de parade, pourquoi se gêneraient-ils, pourquoi chercheraient-ils à se justifier comme autrefois ?
Et ce cynisme venu du sommet ne peut, bien entendu, qu’irriguer progressivement la société toute entière. Après l’ère des religions, puis celle des nationalismes, puis celle des grandes solidarités, nous entrons désormais — pour combien de temps ? — dans l’ère du cynisme affiché sans complexes.
Elie Arié pour Marianne2
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