«Quand je vais à la mairie toute seule pour demander un logement, on me traite mal. Si j’y vais avec quelqu’un d’ATD Quart-Monde, on me traite bien. Il y a un truc, quand même», expliquait Gaetane Lanciaux lors de l’audition d’ATD Quart-Monde par le Comité consultatif de la Halde [Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité] en septembre 2010.
A la suite de cette audition, la Halde, avant de passer le relais au Défenseur des droits, a «recommandé au gouvernement de mener une réflexion sur l’intégration du critère de l’origine sociale dans la liste des critères prohibés [1] et sur les modalités de prise en compte des préjugés et stéréotypes dont souffrent les personnes en situation précaire». Il appartient donc désormais au gouvernement de prendre position sur cette question.
Politiquement, l’acte est simple. Il suffirait, par exemple, de ratifier le protocole 12 de la Convention européenne des droits de l’Homme pour introduire ce nouveau critère de discrimination pour «raison de fortune», que dix-huit pays européens ont déjà ratifié. La conférence sur la pauvreté et l’exclusion sociale, annoncée les 10 et 11 décembre prochains, pourrait en être l’occasion.
Cette mise à l’index du «racisme anti-pauvre» serait un signe fort que le gouvernement pourrait donner pour mobiliser notre pays et qui changerait la place des personnes très pauvres dans notre société.
Pourquoi demander cet acte politique ?
La détermination des critères actuels de discrimination n’a certes pas supprimé les comportements et les propos racistes, homophobes et autres, mais elle a permis de les rendre illégitimes. Ainsi, on a sensibilisé l’opinion publique et les médias, engagé des campagnes de communication pour dénoncer ces discriminations... Désormais, elles sont reconnues par tous comme inacceptables.
Aujourd’hui, un enfant qui subit des insultes racistes sait que ce comportement n’est pas admissible aux yeux de la République. Il peut s’appuyer sur ce consensus pour se construire, et les autres enfants dans la cour de récréation vont condamner des propos racistes. Vis-à-vis d’une insulte qui porte sur son origine sociale, l’enfant n’a pas ces recours et n’a d’autre solution que de l’intérioriser.
Pour la discrimination sociale, nous sommes dans le déni : le mépris envers les pauvres n’est pas nommé. Ceux-ci, à force d’être stigmatisés sans pouvoir se défendre, en arrivent à considérer qu’ils n’ont pas les mêmes droits que les autres, et renoncent à les demander.
La France semble prête
Traiter un enfant de «cas soc’» ou de «SDF» parce qu’il vit de façon précaire à l’hôtel avec sa famille, de «racaille» parce qu’il vit dans une cité dégradée, interdire l’accès à la cantine aux enfants de chômeurs, mépriser ou refuser un patient en CMU, refuser un logement à une famille parce que ses revenus viennent de l’aide sociale, rabaisser encore davantage une personne dès lors que, malgré sa situation de pauvreté, elle ose relever la tête… tous ces comportements deviendront répréhensibles et, petit à petit, ne seront plus acceptés.
Lorsqu’une telle législation a été créée au Canada, certains craignaient que les personnes pauvres envahissent les tribunaux pour toutes les injustices qu’elles subissent. Des études [2] ont montré qu’il n’en était rien, et que les quelques situations effectivement portées devant les tribunaux ont eu un impact pédagogique sur les populations défavorisées et sur ceux qui les côtoient.
La France semble prête à ce nouveau pas vers un vrai refus de la misère.
Nous souhaitons vivement que le gouvernement saisisse le Parlement de cette question dès cet automne. Les plus démunis, qui subissent la violence du mépris sans que celle-ci n’ait jamais été reconnue, percevront immédiatement l’importance de ce geste. Ils y verront le signe que la mobilisation pour rendre effectifs les droits fondamentaux est bien réelle, ce qui leur redonnera confiance dans les institutions.
(Source : Rue89)
[1] Il faut rajouter l'origine sociale dans l'article 225-1 du Code pénal qui définit 18 critères constitutifs comme l'origine nationale ou ethnique, le patronyme, le sexe, la grossesse, la situation de famille, l'apparence physique, l'âge, l'état de santé, le handicap, les opinions politiques ou les activités syndicales, les convictions religieuses, les mœurs, l'orientation sexuelle, les caractéristiques génétiques, etc... Cette loi, qui date de 2006, a "oublié" la discrimination socio-professionnelle (chômage) et sociale (pauvreté), qui sévissent de façon on ne peut plus ordinaire. Une lacune fondamentale à laquelle il devient urgent de remédier.
[2] Voir les travaux de Diane Roman, professeur de droit à Nanterre sur la Commission des droits de la personne au Québec.
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