Si la tête du gouvernement continue de jouer les inflexibles, la queue donne des signes d'inquiétude qui ne trompent pas. A l'UMP, la meilleure défense, c'est l'attaque : il faut systématiquement démonter l'adversaire, le fustiger, voire le calomnier, peu importent les arguments. Nombreux sont ses porte-flingue qui s'y collent via des porte-voix particulièrement complaisants.
Voyez Jean-François Copé, si prompt à invoquer les Justes contre les "délateurs"... Ahurissant, non ? Or, ce Monsieur-pas-si-Propre-que-ça a mis en garde, hier, contre le "désastre que pourraient constituer des grèves reconductibles ou à caractère illimité […] pour Notre Économie".
La culpabilisation des victimes (chômeurs, pauvres, descendants d'immigrés ou immigrés avec ou sans papiers…) du système économique qu'elle cautionne est un grand classique de l'UMP. La culpabilisation du salarié-esclave qui commence à se rebeller fait également partie de la panoplie : déjà que Notre Économie ne tourne pas rond alors, de grâce, n'allez donc pas aggraver la situation !
Culpabiliser permet, dans un premier temps, de neutraliser les individus les plus fragiles. Ensuite, un cran au dessus, vient la manipulation des plus crédules/ignares via des arguments fallacieux visant à dresser les gens les uns contre les autres : les Smicards contre les immigrés, les chômeurs ou les "assistés"; les salariés du privé contre les "privilégiés" du public qui osent faire grève; les jeunes contre les vieux, etc. Le Diviser Pour Mieux Régner est une méthode qui, de tous temps, a largement fait ses preuves. Enfin, s'il reste des érudits qui refusent d'avaler les couleuvres et de se soumettre, on les discrédite, on les menace, avant de sortir l'arsenal répressif qui dissuadera les derniers réfractaires.
La démonstration de Roger Karoutchi
Voyez le président UMP de la commission des finances au conseil régional d'Ile-de-France, qui "s’inquiète des conséquences, lourdes pour l’économie et l’emploi dans la région, des grèves à répétition dans les transports publics". Il estime que "l’annonce d’une grève reconductible à la RATP à compter du 12 octobre et la possibilité que ce type d’action gagne la SNCF est un mauvais coup pour une économie francilienne dont le redressement est encore fragile". Vous vous rendez compte, ces salopards de privilégiés qui veulent faire grève (de quoi se plaignent-ils ?), ils vont mettre à bas Notre Économie !
Après la culpabilisation, la division : M. Karoutchi rappelle que "tous les jours, 5 millions d'usagers utilisent les transports publics en Ile-de-France, dont 80% d'entre eux pour se rendre au travail ou en cours". C'est sûr, parmi eux il y a plein de gentils moutons innocents qui s'en foutent d'être obligés de travailler jusqu'à 62 ou 67 ans, d'être tondus en permanence, et qui vont souffrir de ne pas pouvoir s'adonner à leur transhumance quotidienne.
Après la division, la menace : M. Karoutchi demande la mise en place d'un "véritable service minimum" dans les transports, "par secteurs et non par réseaux globalisés". Ainsi M. Karoutchi veut-il vider le droit de grève de sa substance et faire en sorte que les salariés qui ont encore envie de l'exercer aient le sentiment de pisser dans un violon.
Mes chers Cons-citoyens...
Alors quoi ? Non seulement la Finance mondialisée — grande responsable de La Crise et dont la "moralisation" est renvoyée aux calendes grecques… — a mis l'économie réelle à genoux et vous devrez payer les pots cassés en vous serrant la ceinture, chers Cons-citoyens, mais en plus, vous n'allez tout de même pas en rajouter une couche !
Notre réforme des retraites ? Elle est légitime, équitable et in-con-tour-nable. Nos politiques d'austérité qui saignent les plus modestes ? Idem. Nos restrictions sur l'assurance maladie ? Idem. Nos politiques fiscales ? Idem.
C'est la crise ? Supportez-en les conséquences, renoncez à vos droits et à vos acquis et, surtout, fermez-la.
Revoilà le chantage à l'emploi !
Il n'y a pas que les patrons qui en usent pour contraindre leurs salariés à travailler plus pour gagner moins. Le gouvernement, lui aussi, sait y faire quand la grève menace alors que, parallèlement, il vide les caisses de l'Etat pour subventionner le patronat, peu importe si cette gabegie n'a que peu ou pas d'effet sur l'emploi, justement, l'essentiel étant que ses amis du CAC40 continuent à s'en foutre plein les poches.
Au dieu Emploi, on oppose le chômage. Or, ce diable qu'on agite pour faire peur aux salariés est, pourtant, créé de toutes pièces. Rien ne vaut une bonne pénurie (emplois, logements…) pour affoler/soumettre les individus et réviser ses tarifs : à la baisse pour les salaires et les conditions de travail, à la hausse pour l'immobilier. Instaurer la rareté, la généraliser à nos besoins les plus vitaux permet non seulement à quelques winners d'extorquer du fric à d'innombrables losers mais, surtout, de destituer la notion de partage, notamment celui des richesses.
Dans l'affaire, on réalise que l'Emploi est une institution qui appartient exclusivement à ses pourvoyeurs, et non à ceux qui l'effectuent au quotidien. L'Emploi est la propriété exclusive des entreprises, des financiers et de nos gouvernants qui disposent sur lui d'un droit de vie et de mort : ainsi, à loisir le suppriment-ils, le bradent-ils, ou l'utilisent-ils comme instrument de chantage sans que ses exécutants — les salariés, corvéables à merci et plus que jamais interchangeables — aient un droit de regard sur ce carcan moderne dans lequel ils sont priés de se lover en silence. L'esclavage a été aboli, certes; mais le salariat l'a remplacé.
La grève, une inversion des rôles
Alors, comprenez-vous, quand de séditieux salariés appellent à la grève générale et illimitée et que l'Emploi, pour une fois, se voit malmené par ceux-là même qui l'exercent, ça, c'est inadmissible ! Que des salariés désobéissants décident de faire la pluie et le beau temps de Notre Économie au lieu de la subir, quel scandale !
Pourtant, le travail — et ses fruits — appartiennent aussi à ceux qui les produisent. Etre propriétaire d'une usine ne suffit pas : il faut des ouvriers pour la faire tourner, et des clients pour la faire prospérer. Sans ses exécutants, l'Emploi est une coquille vide. Sans sa force de travail et ses consommateurs, Notre Économie n'est rien.
Avant La Crise, on s'en foutait, de "l'économie réelle" et des petits minables qui la portaient, puisqu'il était possible de s'enrichir sans elle. Avec La Crise, la donne commence à changer...
Si, grâce au chômage et à la peur qu'il suscite, tout est fait pour que les pourvoyeurs d'emplois règnent en maîtres sur le salariat, il existe encore des secteurs où les Employés valent leur pesant. Ce sont eux, ces dinosaures qu'on voudrait fossiliser, ces fichus "syndicalistes" et autres "grévistes professionnels" qui, usant de leurs "privilèges", s'érigent en bouclier au nom de tous ceux dont la parole et les actes sont confisqués. Les abrutis râleurs, moutons coincés dans le métro, feraient bien de les respecter. Et l'UMP a raison de se mettre à trembler.
SH
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