Voici une entreprise rentable — un équipementier automobile allemand ayant dégagé 38 millions d’€ de bénéfice pour 400 millions de chiffre d'affaires en 2009 — qui, agitant la menace d’«une alarmante baisse prévisionnelle de la charge de travail pour les années 2012 et 2013» sur ses trois sites de production français (à Foix, Boussens et Toulouse), propose de réduire de 8% le coût du travail en échange d'un maintien de l'emploi jusqu'en 2015.
Pourtant ces usines du sud-ouest de la France, qui fabriquent des composants électroniques, «fonctionnent très bien, on va même faire encore des bénéfices cette année», a déclaré une porte-parole du groupe...
La précarité subjective, une tactique de management courante
Mieux vaut prévenir que guérir, n'est-ce pas ? Comme les compagnies d'assurances qui noircissent le tableau pour vous forcer la main sur des contrats plus chers car, quand tout va bien, tout peut aller mal quand même ! Ainsi tient-on les gens par la peur : en suspendant des épées de Damoclès, souvent imaginaires, au-dessus de leur tête, on les laisse macérer dans l'angoisse et on en tire tout ce qu'on veut. C'est tellement efficace que certaines entreprises, depuis longtemps, n'hésitent plus à y recourir : je suis sûre que vous en connaissez.
Officiellement, le sacrifice demandé aux Continental Automotive de Midi-Pyrénées équivaudra à la suppression de deux jours de RTT, un gel des salaires et une forte baisse de la prime d'intéressement. En réalité, selon la CFDT (qui, pour une fois, a laissé son costume jaune au vestiaire), l'ensemble des mesures proposées par la direction représente une baisse nette du salaire de 1,4%, la suppression de diverses primes, une diminution drastique de l'intéressement, entre 8 et 13 jours de travail en plus et la suppression de plus de 100 postes d'intérimaires et sous-traitants, tandis que les contreparties en termes d'emploi et d'investissement ne sont pas chiffrées.
Pour faire passer le chantage patronal, rien ne vaut un faux dialogue social. La direction a donc organisé une "consultation" fantoche à laquelle 83% des 2.500 salariés ont pris part et 52% donné leurs fesses, malgré l'appel au boycott des deux syndicats majoritaires (CGT et CFDT, 60% du personnel. Mais les autres ont, évidemment, appelé à voter…). 52%, c'est une courte majorité, mais une majorité tout de même.
Dumping social
La brèche est ouverte : forte de ces reculs sociaux aisément consentis, en 2015, la direction du groupe pourra encore agiter de nouveaux épouvantails économiques afin de détruire d'autres acquis, jusqu'à décider la fermeture définitive des sites pour délocalisation en Tchéquie, en Roumanie, en Slovaquie ou au Portugal, là où la main d'œuvre est peu chère. L'Internationale ouvrière, c'est une vieille idée que les patrons ont repris… à leur compte, et avec succès.
Comble du cynisme, le président de Continental Automotive France a déclaré que «ce vote des salariés est un encouragement fort pour la poursuite du développement des activités de la société» : il ne croit pas si bien dire ! «A travers cette approbation du plan, je mesure l'attachement des salariés à leur entreprise ainsi que leur lucidité quant au contexte auquel nous sommes confrontés. Les efforts individuels consentis par les salariés serviront l'intérêt collectif.» L'intérêt collectif ? Celui des actionnaires, oui ! Leur lucidité ? Plutôt leur lâcheté.
Une inconsciente auto-destruction
L'histoire de leurs collègues de Clairoix et le combat qu'ils ont mené n'a-t-il donc servi à rien ? N'ont-ils pas compris que travailler plus et renoncer à ses RTT permet rarement de sauver son emploi ? Que toute soumission est vaine et qu'au contraire, il faut taper du poing sur la table et se faire respecter ? Car ces sacrifices demandés, aussi indignes qu'inutiles, sont purement idéologiques : les deux buts visés, c'est d'abord de formater le salariat au renoncement; ensuite, accélérer la régression généralisée, qu'elle soit salariale (smicardisation, abolition des droits) ou sociale (précarisation, chômage).
Lundi, au cours d'une assemblée générale du personnel, des ex-Contis de Clairoix sont pourtant venus leur dire que le «même chantage» leur avait été fait… et qu'ils l'ont accepté. Au bout de quoi, ils ont tous été licenciés. «Les promesses sont incertaines; les sacrifices, toujours à effet immédiat», ont-ils rappelé.
Le courage des esclaves
Le vrai courage, c'est le refus de l'injustice et de l'oppression. Or, on tend à nous faire croire le contraire : qu'être courageux, c'est se sacrifier et endurer (en tous cas, c'est ce que m'ont appris mes parents, travailleurs besogneux et frustrés à vie). Ainsi les esclaves restent-ils des esclaves et ceux qui les possèdent prospèrent-ils, de génération en génération.
Or, par leur confusion intellectuelle et leur résignation, non seulement ces salariés se nuisent à eux mêmes, mais ils nuisent à l'ensemble de la population, avec ou sans emploi. Ils participent activement à cette dégénérescence impulsée par un patronat qui les manipule sans effort, au-delà des frontières.
Ensuite, écrasés sous leur sacrifice et débordants de frustration, ils vont déverser leur rancœur sur ceux qui sont déjà passés à la casserole — les chômeurs et autres "assistés"… — alors que, par leur inertie, leur individualisme et leur courte vue, ils contribuent à la destitution sociale de tous, y compris la leur.
SH
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