«Il y a trois sortes de mensonges : les petits, les gros, et les statistiques.» Pour en vouloir autant à celles-ci, Mark Twain devait sans doute être plus à l’aise avec la littérature qu’avec les mathématiques. Le romancier américain se fait le porte-parole de ceux pour qui les chiffres ne sauraient décrire la réalité sans la pervertir. Sa critique porte en réalité non pas sur les statistiques elles-mêmes, mais sur ce qu’on leur fait dire.
Prenons, par exemple, la distribution, au sens statistique, des revenus des salariés. Le chiffre le plus communément retenu pour décrire cette réalité sociale est la médiane, qui sépare les salariés en deux parts égales. Ainsi, en 2008, 50% d’entre eux touchaient moins de 1.450 € nets par mois, et 50% plus. Sauf que dans ces calculs ne sont pas englobés l’ensemble des 25 millions de salariés que compte la France métropolitaine.
L’Insee doit, depuis peu, publier un indicateur supplémentaire qui prenne en compte leur totalité : ceux qui ont connu des périodes de chômage, des petits boulots, ou qui travaillent à temps partiel. Bref, tous les salariés qui ont travaillé au moins un jour dans l’année. Et le résultat donne alors à voir une autre France d'où émerge un lumpenproletariat structurel, révélé cette semaine par FO-Hebdo dans son dossier "Portrait social : France, terre de contraste salarial".
Dès lors, la médiane tombe à 1.332 €. Mais c’est dans le bas de l’échelle que se font ressentir les différences. En 2008, les 25% des salariés les moins bien payés touchaient moins de 9.000 € net par an, soit à peine 73% du Smic, pour un revenu moyen de 3.710 €, soit 30% du Smic. Pour deux tiers d’entre eux, il s’agit de travailleurs qui ont été amenés à multiplier les petits CDD à temps partiel payés au lance-pierre. Ceux-là ont travaillé 205 jours, s’ouvrant donc de tout petits droits au chômage. Au contraire du tiers restant, qui a occupé un vrai boulot mais sur une période réduite de moins de trois mois (peu ou pas de chômage à la clé).
Comment pourrait-il en aller autrement ? «En 2008, note l’Insee, en France métropolitaine, 25 millions de personnes ont été salariées dans l’année. Sur l’année, ces salariés ont occupé 26 millions d’emplois différents, d’après les déclarations annuelles de données sociales (DADS, annexe). Certains de ces emplois n’ont duré qu’une partie de l’année, certains sont à temps partiel. Finalement, ramenés à des emplois à temps plein toute l’année, ces 26 millions d’emplois en représentent 19 millions en équivalent temps plein (EQTP).»
On comprend donc que 6,25 millions de personnes sont obligées de jouer au jeu des chaises musicales sur un million d’emplois équivalent temps plein divisés en une multitude de petits contrats. Une sorte de time sharing du job.
La statistique de l'INSEE est de celles qui mériteraient d'être méditées : elle témoigne de l'ampleur de la baisse de la demande en France. Mais elle n'est pas, hélas, de celles qui font la Une des journaux...
(Source : Marianne)
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