INTOX
Etonnant dialogue de sourd, le 20 février sur RTL, à l’occasion de la réception de Christine Lagarde au Grand Jury. Alors qu’un journaliste lui demande si la croissance en 2011 va enfin suffire à inverser la tendance du chômage, la ministre répond : «Mais la tendance s’est déjà inversée. Le chômage a été à son pic à 9,6% fin 2009. En 2010, on est passé à 9,3%. Donc il a baissé statistiquement en 2010». Interloqué, Jean-Michel Aphatie s’étonne : «Mais le chômage a augmenté en 2010...» Lagarde persévère : «Prenez les statistiques, on pourra les vérifier après : on est passé de 9,6% à 9,3%.»
DÉSINTOX
Nul besoin de vérifier les statistiques, car Aphatie et Lagarde ne parlent pas de la même chose. La baisse évoquée par Christine Lagarde existe bel et bien : il s’agit du taux de chômage au sens du Bureau international du travail (BIT). Et son niveau a effectivement diminué de 0,3 point entre le quatrième trimestre 2009 et le troisième trimestre 2010 (et non pas, d’ailleurs, «en 2010», puisque le taux du quatrième trimestre ne sera connu qu'aujourd'hui). Mais Aphatie a aussi des raisons de s’étonner : car le diagnostic de la ministre contredit les chiffres de Pôle Emploi, selon lesquels le nombre de demandeurs d’emplois inscrits est en croissance. Que ce soit en catégorie A (+53.000 inscrits sur les trois premiers trimestres 2010) ou en tenant aussi compte des catégories B et C (+120.000 inscrits).
En réalité, deux indicateurs différents coexistent sur la mesure du chômage en France. Le premier - cité par Lagarde - est celui de l’Insee, établi sur la base des critères du BIT. Il est issu d’une enquête trimestrielle réalisée auprès de 45.000 foyers en France et considère comme chômeurs les personnes qui n’ont pas du tout travaillé dans la semaine de référence, sont disponibles dans les 15 jours et ont entrepris des démarches de recherche d’emploi. A côté de l’indicateur de l’Insee existe celui de la Dares/Pôle Emploi qui comptabilise, chaque fin de mois, les chômeurs inscrits à l’agence, et sur la base de critères équivalents à la catégorie A (n’ayant pas du tout travaillé).
Différences, et marge d’erreur
Des différences subsistent pourtant, qui expliquent les écarts observés entre les deux organismes. Primo, un sans-emploi peut se déclarer chômeur dans le cadre de l’enquête Insee et ne pas s’inscrire à Pôle Emploi (environ 20% des chômeurs «Insee» ne sont pas inscrits à Pôle Emploi, et donc non comptabilisés comme chômeurs par ce dernier). Cette divergence peut expliquer que les deux indicateurs n’évoluent pas toujours de concert : la hausse du chômage en 2010 selon Pôle Emploi peut ainsi s’expliquer en partie par le fait que certaines personnes, considérées comme des chômeurs par l’Insee mais jusqu’à présent démotivées par la crise, décident avec la «reprise» économique de s’inscrire auprès de l’agence dans l’espoir de retrouver du travail.
A l’inverse, Pôle Emploi prend en compte certains chômeurs que l’Insee, plus restrictif, laisse en dehors de ses statistiques : l’Institut, pour qui le chômeur doit avoir entrepris des démarches actives de recherche d’emploi, ne considère pas que l’inscription à Pôle Emploi constitue, à elle seule, un acte suffisant de recherche d’emploi. Ajoutons, enfin et surtout, que le chiffre de l’Insee est basé sur une enquête qui, par définition, recèle une marge d’erreur. Celle-ci, selon l’institut, est de 0,3 point, soit, précisément… le niveau de baisse relevée par Christine Lagarde (de 9,6% à 9,3%).
Chacun de ces deux chiffres, construits sur ses propres critères, reflète donc deux réalités différentes. Mais Christine Lagarde, qui n’ignore pourtant rien de l’existence de Pôle Emploi dont elle fut ministre de tutelle, s’est bien gardée d’en citer les données, préférant mettre en avant les statistiques de l’Insee. Les seules à valider son discours.
(Source : Libération)
Post-scriptum : Le taux de chômage en France selon l'INSEE a légèrement baissé au quatrième trimestre 2010, à 9,2% de la population active en métropole et à 9,6% DOM compris. Il ne marque donc qu'un recul de 0,1 point par rapport au trimestre précédent. Au total, selon l'Institut, 3,4 millions de personnes n'avaient pas d'emploi fin décembre et souhaitaient néanmoins travailler, qu'elles soient ou non disponibles dans les deux semaines pour cela et qu'elles recherchent un emploi ou non.
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