Cela fut dit avec délicatesse, et même avec une franche pudeur : Nicolas Sarkozy veut réformer la protection sociale en affirmant la nécessité «d'alléger la pression sur le travail et faire contribuer financièrement les importations qui font concurrence à nos produits avec de la main d'œuvre à bon marché».
Qui ne serait d'accord au moment où «produire français» devient très tendance et où la mondialisation, comme l'Europe, a si mauvaise presse ? Comme par magie, selon le scénario élyséen, à niveau de protection sociale inchangée, le coût du travail baisserait, donc les prix hors taxe des produits made in France deviendraient du coup plus compétitifs.
En théorie, une opération blanche...
Pour les produits fabriqués en France, les baisses de prix rendraient indolore, disons neutre, le relèvement du taux de TVA, tandis que les produits importés frappés du nouveau taux relevé verraient leurs prix flamber.
En effet les importations, par définition fabriquées ailleurs, ne supportent aucune "charge sociale" en France, mais en revanche sont soumises à la TVA comme n'importe quelle production française. A l'arrivée, donc, une meilleure compétitivité pour le «made in France», une pénalisation du «made in ailleurs» et une opération blanche pour les consommateurs.
... En réalité, des incohérences
En apparence, ou en pure théorie, cela paraît évident. Mais si jamais ce mécanisme devait être mis en place (on parle d'un projet de loi voté à la va-vite en février), on se rendrait vite compte de ses incohérences :
• Les prix des produits fabriqués en France ne baisseraient pas ou si peu. Rien ne garantit que la baisse des "charges" soit répercutée sur les prix hors taxes, bien au contraire. Les entreprises auraient sans le moindre doute tendance à garder pour elles la majeure partie du produit de cette baisse. Ce qui s'est passé avec la diminution de la TVA sur la restauration est de ce point de vue éloquent : l'essentiel est allé dans la caisse des restaurateurs face à peu d'embauches et peu, très peu, de baisses des prix. Il y a, c'est bien connu, une rigidité des prix à la baisse, ce que les économistes appellent «l'effet de cliquet» : les prix augmentent facilement, mais ne diminuent que très difficilement.
• Tous les prix à TVA majorée augmenteraient. Pour cette même raison, on peut être certain que le relèvement de la TVA serait répercuté sur les prix de détail. Ce serait même quasiment automatique. Que ce soit sur les produits fabriqués en France ou importés. Au total, ce seront bien les consommateurs, obligés ou non d'acheter du «made in ailleurs», qui auraient à supporter le poids de cette réforme.
• Le dispositif renforcerait encore les inégalités de revenus. Car les consommateurs ne sont pas égaux vis-à-vis de la TVA. Selon un rapport de la très sérieuse Cour des comptes, elle pèse aujourd'hui en moyenne 11,5% sur les revenus des 10% les plus pauvres, contre 5,8% sur ceux des 10% les plus aisés. Et pour cause, ces derniers placent — hors de toute TVA — une part non négligeable de leurs excédents budgétaires. La TVA est un impôt dégressif, dont la charge baisse quand le revenu augmente, à l'exact opposé de l'impôt sur le revenu.
Un accommodement doucereux
Il faut appeler un chat un chat, le plat que nous a réchauffé le chef de l'Etat lors de ses vœux porte un nom : c'est un nouvel accommodement, tout doucereux, de la désormais insubmersible TVA sociale, une sorte de serpent de mer, décidément.
En l'évoquant au soir du premier tour des législatives de 2007, Jean-Louis Borloo, éphémère ministre de l'Economie, avait, dit-on, fait perdre quelques dizaines de sièges de députés à l'UMP.
Et de temps à autre voici qu'on nous la ressert : le Medef s'y dit extrêmement favorable — on comprend pourquoi; Jean-François Copé, tout comme Hervé Morin, en font leur oriflamme; et même Manuel Valls avait cédé à cette vilaine sirène lors des débats de la primaire socialiste.
Plutôt la CSG que la TVA
En soi, vouloir diminuer les "charges sociales" payées par les entreprises n'est pas une mauvaise idée, mais les remplacer par de la TVA supplémentaire relève d'une incompréhension très technocratique de la réalité économique.
Et si l'on tient à reporter sur un impôt ces satanées "charges" qui financent notre protection sociale, il est un mécanisme fiscal qui porte sur tous les revenus — travail + capital — et qui est proportionnel aux dits revenus : cela s'appelle la CSG, contribution sociale généralisée. Chiche.
(Source : Rue89)
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