Danone aujourd'hui, Alcatel-Lucent hier, et PSA avant-hier : les plans de départs volontaires se multiplient comme des petits pains dans les entreprises. A chaque fois, le même argument en ces temps de crise économique : faire des économies. A priori moins violent qu'un plan de licenciement, le départ volontaire n'en reste pas moins ambigu, autant du côté de l'entreprise que du côté du salarié. Et surtout quand le marché de l'emploi fait grise mine.
Un plan d'économies de 200 millions d'euros sur deux ans en Europe vient d'être annoncé chez Danone. Salariés et syndicats ont appris la nouvelle par un communiqué de la direction générale. Cible touchée : les postes d'encadrement et les fonctions «support» (ressources humaines, finances…). Plan qui sera mené «sur la base du volontariat en privilégiant la mobilité interne». Si, dans un communiqué, la fédération agroalimentaire FO a indiqué qu'elle «veillera particulièrement à ce que l'emploi soit préservé, notamment là où la direction lui a récemment concédé, c'est-à-dire dans les secteurs industriel, logistique et la recherche», il n'empêche : les candidats au départ sont priés de se faire connaître.
Le plan de départ volontaire est en vogue, parce qu'il permet assez simplement (pas de préavis…) et pour un coût moindre (pas d'obligation de reclassement, pas de contestation ultérieure…) d'alléger les effectifs de l'entreprise sans procéder à un plan de licenciements économiques pouvant apparaître comme arbitraire. Plus acceptable socialement — et moins médiatique — que les traditionnels plans sociaux, il est a priori moins critiquable, puisqu'il semble laisser aux salariés la liberté de régler le sort de leur destin.
Injonction paradoxale
Côté entreprises, il a donc le mérite de ne pas dégrader l'image, de conserver une marque employeur la plus attractive possible auprès des étudiants de grandes écoles qu'elles mettent souvent des années à séduire, et surtout d'être perçu comme favorisant financièrement les velléités d'entreprenariat de leurs salariés. Pourquoi pas ? Mais, par les temps qui courent, la procédure tient plus de l'injonction paradoxale que de la bonne aubaine et n'est pas dénuée d'ambiguïtés.
Car le marché de l'emploi n'est pas suffisamment en bonne forme pour motiver les salariés à prendre un chèque et aller voir ailleurs. Face à 3 millions de chômeurs et des limites d'âges drastiques (trop jeunes ou trop vieux), nombre de salariés savent que des mois de galère les attendent plus sûrement qu'une promotion. L'ouverture de guichet départs comme alternative aux plans sociaux n'est donc pas si favorable aux salariés en période de vaches maigres, surtout s'ils se trouvent dans un bassin d'emplois sinistré, un secteur en crise, ou s'ils ont un faible niveau d'employabilité.
D'autre part, «si, au départ, le chèque est bien tentant pour se désendetter ou prendre le temps de monter un projet, il peut rapidement devenir un miroir aux alouettes : les mois d'inactivité s'enchaînant, l'employabilité diminue fortement», note une avocate en droit du travail. «Pour mieux convaincre quand le marché du travail est tendu, les entreprises utilisent alors le montant de la prime comme variable d'ajustement. L'augmenter permet de séduire plus de volontaires», précise-t-on dans un cabinet de reclassement.
Equation risquée
Côté salarié, l'équation est donc risquée. Et nécessite un projet solide avant de se lancer. Mais induit également un questionnement lancinant «partira, partira pas», voire «une peur irrationnelle chez les salariés qui préfèrent partir à défaut plutôt que d'être licenciés plus tard lors d'un plan social, sans prime du tout», souligne Jean-Claude Aguerre, psychanalyste spécialisé dans la souffrance au travail. Surtout quand la situation de l'entreprise est jugée préoccupante. La tentation de recevoir un capital parfois important au regard de l'ancienneté occulte alors les difficultés éventuelles à retrouver un emploi.
Le paradoxe est de taille : alors que cette mesure pourrait favoriser de belles initiatives et des projets innovants en période de croissance, elle est aujourd'hui massivement utilisée par toutes les entreprises de secteurs très divers au plus fort de la crise économique.
Autre paradoxe et non des moindres : de colloques en conférences, les DRH clament leurs besoins en talents, s'interrogent sur la meilleure façon de motiver les troupes, mais envoient par ce type de procédure un message contradictoire, signifiant aux salariés que leur entreprise ne souhaite garder aucun profils ni compétences particulières, et qu'ils ne sont en définitive qu'une variable d'ajustement dans un compte de résultats. Une posture qui induit chez les salariés un sentiment de fatalité et entame durablement leur sentiment d'appartenance, à mille lieues du discours managérial habituel qui prône la reconnaissance individuelle et la poursuite de projets réclamant des compétences précises. Difficile dans ces conditions de motiver ceux qui resteront, avec parfois comme une épée de Damoclès au-dessus de leur tête (la précarité subjective), attendant des jours meilleurs.
Le dindon de la farce
Le management moderne serait-il alors le dindon de la farce du plan de départ volontaire ? Tout porte à le croire en cette période de Noël. Présenté et perçu comme favorisant le projet personnel du salarié, le plan de départ volontaire isole celui-ci du collectif, le prive de soutient, l'invite à se comporter en mercenaire et lui dénie toute place singulière au sein du collectif.
Dans ce type de négociation, les syndicats peinent à trouver leur place : rodés à défendre l'emploi, ils se sentent malhabiles à négocier des primes de départ ou à s'assurer de la force du projet du candidat en partance. Leur reste à négocier un bilan de carrière ou des mesures d'accompagnement… jamais très évidents.
Invité — seul — à devenir actif dans sa volonté de partir, le salarié est «agi», au sens psychologique du terme, par sa direction, c'est-à-dire indirectement manipulé par sa hiérarchie qui le place en position de demandeur potentiel, tandis qu'elle reste à l'arrière-ligne. En refusant de choisir clairement, laissant ses salariés se désigner eux-mêmes, celle-ci se comporte passivement quant à sa stratégie de gestion des compétences, voire sa stratégie tout court. L'entreprise prend ainsi le risque de sombrer dans l'anorexie : plus elle licencie pour maigrir, moins elle est performante, et plus elle a besoin de maigrir encore… jusqu'à ne plus avoir la force de tenir debout. Sans compter qu'en l'absence de critères d'éligibilité, l'entreprise court le danger de voir ses salariés les plus compétents ou les plus utiles quitter le navire. Drôle de drame où tous les rôles sont sens dessus dessous.
(Source : La Tribune)
NDLR : Les salariés qui acceptent un départ volontaire bénéficient de l'assurance chômage, car ils sont assimilés à des salariés licenciés pour motif économique. Ils doivent se voir proposer un contrat de sécurisation professionnelle (CSP) qu'ils seront libres d’accepter ou de refuser. Quelques règles à lire ici.
Avant de signer, il faut absolument se renseigner auprès d'un syndicat.
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