Après l’intervention de Jacques Chirac, la veille, Nicolas Sarkozy, qui présentait le texte, a justifié cette décision en affirmant : «Rien n’est encore définitivement acquis», malgré un «retour progressif au calme». Pour le ministre de l’Intérieur, «les Français baissent le regard [...] ; ils vivent ou survivent avec la peur au ventre [...]. Nous sommes tous responsables d’avoir fait de la sécurité un sentiment et non une réalité [...], d’avoir esquivé la grande question de l’immigration». Le ton est sécuritaire, ultrasécuritaire même. «Voyous», «délinquants», le ministre de l’Intérieur a une fois de plus choisi ses mots... bien loin des «fils et filles de la République» de Jacques Chirac. Dénonçant «l’angélisme coupable», le ministre de l’Intérieur a profité de la tribune pour se lancer dans un panégyrique de sa politique. Après ce discours guerrier, la loi a été adoptée, sans surprises, par les seules voix de droite (UMP et UDF). L’UMP a voté en bloc pour la prolongation. Bernard Accoyer, président du groupe, évoquant carrément «une décision réaliste et adaptée aux circonstances exceptionnelles que connaît notre pays».
Après quelques atermoiements, le porte-parole du groupe UDF, François Sauvadet, a finalement déclaré : «Nous ne ferons pas obstacle au texte, nous le voterons.»
L'hostilité des députés de gauche
De l’autre côté de l’hémicycle, la gauche parlementaire dans son ensemble a voté contre. Quelques heures avant le début du débat, le premier ministre Dominique de Villepin avait convoqué à Matignon les responsables de partis et les présidents des groupes parlementaires pour tenter de trouver un consensus sur cette question. Une invitation déclinée par le PCF. «Le gouvernement persiste et signe dans son entêtement à utiliser cette loi d’exception pleine de périls pour la démocratie», a estimé le président du groupe communiste Alain Bocquet, pour qui «l’urgence est d’abord sociale».
De leur côté, les socialistes, qui ne s’étaient pas opposés à la mise en oeuvre de l’état d’urgence la semaine dernière, jugent la prorogation inutile. Jean-Marc Ayrault, le président des députés socialistes, assure : «Nous ne sommes pas laxistes, mais il y a d’autres moyens pour rétablir l’ordre que de prolonger l’état d’urgence. Nous voterons donc contre.» Et d’ajouter : «Nous ne sommes pas d’accord pour prolonger les pleins pouvoirs que le gouvernement nous demande depuis le début de cette législature avec le 49-3, les ordonnances et puis maintenant les pleins pouvoirs à travers l’état d’urgence.»
Chez les acteurs de terrain, les syndicats et associations, on retrouve le même scepticisme qu’à gauche à propos de la prolongation de trois mois l’état d’urgence. «On semble se contenter de répondre au désarroi par des mesures d’exception concernant l'ordre public, qui ne pourront résoudre les problèmes sociaux.» Ce qu’explique Bernard Thibault, le secrétaire général de la CGT, jugeant que «nous sommes confrontés à une crise sociale et non à une crise des banlieues, de l’immigration ou de la jeunesse». Déjà de nombreuses organisations, associations, partis de gauche appellent à un rassemblement mercredi 16 novembre à 18h30, place Saint-Michel à Paris, «contre l’état d’exception et pour une autre politique».
La méthode coué du chef de l’État
Lors de son intervention télévisée, lundi soir, Jacques Chirac avait justifié par la nécessité de «rétablir l’ordre public» et de «donner au gouvernement les moyens d’agir». «Ceux qui s’attaquent aux biens et aux personnes doivent savoir qu’en République on ne viole pas la loi sans être appréhendé, poursuivi et sanctionné», a-t-il martelé. Une déclaration décalée au moment où la situation semble se calmer avec une sensible diminution des violences ces dernières nuits. Un discours tardif, qui aurait indéniablement gagné en crédibilité et force s’il avait été prononcé la semaine dernière. Car, lundi soir, Jacques Chirac a été aussi bon dans le ton qu’il avait été mauvais sur le fond lors de ses précédentes interventions. Posture gaullienne, retour en force de la fracture sociale, de la République et de la nation intégratrice de tous ses enfants. Le chef de l’État voulait montrer qu’il prenait la mesure de la situation en mettant enfin dans la balance le poids et solennité de sa fonction. Mais la quasi-absence d’annonces, la méthode Coué pour faire croire que les réponses à la crise sont déjà en place avec la politique Borloo, le renvoi à la responsabilité de chacun, jeunes, familles, maires, entreprises, syndicats et médias, et enfin la prorogation de l’état d’urgence ont démontré à quel point Jacques Chirac ne veut rien comprendre à l’état de la France. Une incompréhension volontaire pour ne pas avoir à remettre en question les politiques qui ont créé cette situation.
En décidant de prolonger l’état d’urgence et en confiant à son ministre de l’Intérieur le soin de présenter la loi devant la représentation nationale, le chef de l’État a choisi de dire «je vous ai compris» non à l’ensemble des Français, mais à la seule droite. Une droite qui aime le discours musclé de Nicolas Sarkozy.
Stéphane Sahuc - L'Humanité.
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