Alors que le Contrat Première Embauche provoque la colère conjointe des étudiants, des syndicats et de la gauche réunis, le quotidien britannique Times se demande "Qui peut encore oser essayer de réformer la France ?". Vue de Grande-Bretagne, la mobilisation anti-CPE suscite "des sourires entendus : on s'attend à ce qu'il y ait en France régulièrement des grèves ou des soulèvements d'étudiants, ça fait partie du fonctionnement du pays", commente Tony Travers de la London School of Economics and Political Science.
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Le politologue Dominique Reynié, chercheur au CEVIPOF (Centre d'études de la vie politique française) et professeur à Sciences Po, estime que CPE est apparu aux Français "comme la réforme de trop alors qu'approchent les élections présidentielles de 2007". De plus, "le projet a été mal présenté : on a parlé d'un dispositif visant les étudiants, alors que le coeur de cible était les jeunes sans diplôme". Il souligne que la vive opposition au CPE ne doit pas faire oublier que la France "a réussi un certain nombre de réformes récemment", dont celle des retraites en 2003.
"Il faut lutter contre cette image qu'on ne peut pas faire de réformes en France : on peut, mais à condition de dire la vérité. Il faut assumer un discours churchillien", explique Jean-Luc Parodi, directeur de recherche au CEVIPOF et politologue à l'IFOP. Or le gouvernement a fait exactement le contraire avec le CPE en présentant "comme une amélioration une mesure qui est en fait clairement une mesure d'austérité et un recul par rapport à la situation précédente".
Plus largement, le politologue Stéphane Rozès, de l'institut de sondages CSA, juge que "ces dernières années", la France n'a plus de "projet national" et que "les politiques ont fait de Bruxelles le bouc émissaire de nos problèmes". Ce qui a pour grave conséquence que "le pays n'arrive pas à se projeter" dans un avenir européen qui passe par des réformes.
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Le chômage des moins de 25 ans est un problème commun à l'ensemble de l'Union européenne. Que ce soit chez les premiers de la classe en matière de lutte contre le chômage - comme l'Irlande - ou chez les cancres - comme la Grèce -, il est en moyenne deux fois plus élevé que celui de l'ensemble des actifs.
Depuis la fin des années 1990, la quasi-totalité des Etats-membres ont lancé de vastes programmes pour aider les jeunes à s'insérer dans la vie active, en combinant formation, suivi personnalisé et incitations financières pour les entreprises.
Contre des avantages financiers, le patronat allemand s'est engagé en 2004 à créer en moyenne 30.000 nouvelles places pour les jeunes par an jusqu'en 2007.
La Belgique est allée plus loin : les entreprises privées de plus de 50 salariés doivent engager au moins 3% de jeunes de moins de 26 ans. Elles bénéficient en contrepartie d'allègements de charges.
La Suède, la Hongrie et le Portugal, prévoient tous des aides financières ou des allègements de charges pour les entreprises qui embauchent des jeunes.
Dans le domaine de la formation, le Portugal finance en partie des stages rémunérés dans les entreprises, tandis que la Suède ou l'Autriche misent sur l'apprentissage, dès 14 ans dans le cas de ce dernier pays.
L'Espagne a créé un contrat de formation qui s'adresse à tous les jeunes de 16 à 21 ans non qualifiés et combine travail et formation sous l'autorité d'un tuteur dans l'entreprise, avec, là aussi, des allègements de charges à la clé.
La plupart des pays mettent également l'accent sur le suivi personnalisé du jeune, dès son inscription au chômage.
En Grande-Bretagne, les jeunes de 18 à 24 ans, au chômage depuis au moins six mois, sont obligatoirement suivis par un conseiller qui les aide à trouver un emploi et à surmonter tout ce qui peut les empêcher d'en trouver un (illettrisme, problème de transports…).
En Finlande, dès son troisième mois au chômage, le jeune a droit à une aide personnalisée et intègre une formation à la recherche d'emploi, une formation professionnelle , un stage, ou reçoit une aide à la création d'entreprise.
Parallèlement, de nombreux pays européens ont assoupli les règles de licenciement ou allongé la période d'essai pour apporter une plus grande fluidité à leur marché du travail, parfois à l'aide de nouveaux contrats. A la différence du CPE - un CDI résiliable sans justification pendant deux ans et réservé aux moins de 26 ans -, ces contrats ne sont pas spécifiquement destinés aux jeunes, même s'ils sont, de fait, les premiers concernés.
Depuis 1997, le gouvernement italien a ainsi créé une large panoplie de contrats flexibles, dont un contrat lié à un "projet de l'entreprise", avec ou sans durée fixée à l'avance et qui peut être interrompu par l'employeur ou reconduit plusieurs fois de suite sans limitation. "Le problème, c'est que les entreprises préfèrent utiliser toujours le même stock de travailleurs flexibles", explique une spécialiste de l'emploi italienne, Maria-Pia Camusi. "Du coup, cette flexibilité n'est pas devenue une passerelle vers l'emploi stable, mais un trou noir dans lequel les jeunes restent de nombreuses années", affirme-t-elle. Répondre | Répondre avec citation |
Le Conseil d'Etat s'alarme de l'inflation législative, source de "complexité et d'instabilité" du droit qui entraîne une insécurité juridique pour les citoyens comme pour les acteurs économiques, dans son rapport annuel publié mercredi.
Cette prolifération qui "menace l'Etat de droit" s'explique par des raisons "objectives", comme le développement du droit communautaire avec la transposition de directives européennes dans le droit national, l'apparition de nouveaux domaines (droit de la concurrence, économie numérique, protection de l'environnement) ou la décentralisatio n.
Mais d'autres facteurs, "plus politiques et sociologiques que juridiques", aggravent encore cette tendance. Pour les gouvernants, "le projet de loi devient un moyen d'exister médiatiquement", souligne l'auteur du rapport Josseline de Clausade. "L'annonce d'une réforme constitue la démonstration que le gouvernement agit et réagit rapidement", note le rapport, reprenant la formule selon laquelle "tout sujet d'un 20H est virtuellement une loi".
Or, nombre de ces textes médiatiquement annoncés restent par la suite lettre morte", faute notamment de décrets d'application. Sur les 1.000 textes promulgués depuis 1981, 222 n'avaient pas encore reçu entière application fin 2005.
L'impossibilité pour le Parlement d'adopter des résolutions le conduit parfois à voter des lois "purement incantatoires ou déclaratives". Persuadés des "effets nécessairement bénéfiques" de la loi, les citoyens, les syndicats, les lobbies exercent une "pression constante" en faveur de nouveaux textes. Le rapport cite le cas des agriculteurs avec le vote en janvier 2006 d'une loi d'orientation agricole de 105 articles, alors que l'essentiel de l'avenir de l'agriculture française se joue à Bruxelles ou à l'Organisation mondiale du commerce (OMC).
La croyance très ancrée en France que la loi est une solution, "une thérapeutique", a pour résultat une "demande sociale importante" sur des sujets comme la sécurité (une dizaine de textes ces cinq dernières années), le plein emploi, la lutte contre la précarité, voire l'interprétation de l'histoire. Ces "dérives" ont des effets négatifs pour le législateur "submergé" par des textes de plus en plus longs (231 pages pour la loi de 2004 sur les libertés et responsabilités locales) et finalement "contourné" par le gouvernement par le biais des ordonnances.
Les acteurs économiques sont confrontés à "l'insécurité juridique", comme l'illustrent les innombrables modifications touchant le droit fiscal ou social (le crédit d'impôt recherche a été modifié 23 fois en 23 ans d'existence). Les juges peinent à se repérer dans les multiples réformes et les usagers sont "égarés" par un droit "peu lisible et en partie inaccessible".
Pour ralentir cet emballement, le Conseil d'Etat se prononce pour un nouveau droit de l'élaboration des textes qui ferait l'objet d'une loi organique, juste en dessous hiérarchiquemen t de la loi constitutionnel le, et subordonnerait le dépôt d'un projet de loi à une étude d'impact. Cette étude devrait notamment faire apparaître les raisons du choix d'un projet de loi plutôt que d'une autre option et les effets attendus du texte. "Je ne crois pas à l'autodiscipline de l'exécutif en matière d'initiative législative", a commenté le vice-président du Conseil d'Etat Renaud Denoix de Saint Marc.
Autre solution prônée par le Conseil d'Etat, des procédures législatives simplifiées pour l'adoption de certains textes, notamment les transpositions de directives. Répondre | Répondre avec citation |