Ce n'est pas d'aujourd'hui que date l'opposition, apparemment irréductible, entre les cultures britannique et française. Ce n'est pas d'aujourd'hui non plus que les deux pays s'asticotent à la première occasion. Heureusement, il ne s'agit maintenant que de joutes verbales : la guerre de Cent ans est oubliée et Jeanne d'Arc a été canonisée après sa carbonisation. Les deux peuples ont pourtant beaucoup en commun, et si de nombreux Anglais viennent désormais couler une paisible retraite sur notre territoire, ce n'est pas seulement pour des raisons économiques : bien d'autres endroits du monde sont beaucoup moins coûteux, plus ensoleillés et plus anglophones que le nôtre. Au-delà de la chicane folklorique, il y a une réelle affection de leur part pour notre pays, qui transparaît dans leur «colonisation» de longue date du Périgord, ancien territoire des Plantagenets. Mais il vrai que nous avons une approche radicalement différente de bien des sujets : le travail, d'abord.
En Angleterre, l'ascenseur social passe par la libre-entreprise, que la prospérité résulte de profits ou de salaires ; en France, les diplômes sont considérés comme le moteur de l'ascenseur, ce qui était vrai sous la IIIe République, mais ne l'est plus que très partiellement aujourd'hui - pour les Ecoles prestigieuses, en particulier.
Il en résulte une approche fondamentalement différente du contrat de travail, notamment en phase de licenciement, dont chacun sait qu'en France, il est perçu comme un traumatisme de part et d'autre, car la réglementation est très contraignante pour l'employeur, les procédures contentieuses d'une longueur extravagante, et les indemnisations aléatoires et coûteuses.
En Grande-Bretagne, le licenciement est également réglementé : contrairement à l'idée répandue, le salarié britannique n'est pas «jetable». Mais les procédures de séparation sont beaucoup plus courtes, trois fois moins coûteuses pour l'entreprise en cas de licenciement économique, et nettement plus prévisibles en cas de contentieux (moitié moins cher qu'en France), lequel est plus rare, la conciliation réglant cinq fois plus de différends que chez nous. Il en résulte une meilleure fluidité sur le marché du travail, le licencié n'ayant pas de difficulté à retrouver un emploi, le taux de chômage étant deux fois moindre dans le pays.
Les différences résultent bien d'un état d'esprit fondamentalement opposé : le chef d'entreprise anglais ne fait pas l'objet de la suspicion de principe dont est affligé son homologue français, tant de la part des salariés que du Code du travail. Si bien que contrairement au jeune Français, qui rejette massivement l'économie de marché et le statut d'entrepreneur, le young English crée sa propre activité à la première occasion, et les formalités sont rapidement expédiées. En dépit des mesures réitérées de simplification administrative, ce n'est toujours pas le cas chez nous. Loin s'en faut.
Impôts et retraite
Il n'existe aucun citoyen dans le monde qui aspire à payer davantage d'impôts. Sauf qu'en France, nombreux sont ceux qui estiment que les autres ne sont pas assez taxés, eu égard à ce qu'ils gagnent. La thèse vaut également pour l'impôt sur les sociétés, dont il est question d'harmoniser l'assiette en Europe. A ce stade, il ne s'agit que d'unifier la base imposable, afin de ne pas introduire des distorsions de concurrence dans la Zone.
Car d'autres pays, comme la France et l'Allemagne, sont depuis longtemps favorables à une harmonisation complète, allant jusqu'au taux de taxation, vu qu'ils sont agacés par la concurrence fiscale que leur livrent nombre d'autres Etats communautaires. Voilà ce qu'il en est lorsque le prix de l'impôt n'est pas compétitif... Bien entendu, pour la plupart des autres membres (dont l'Angleterre), il est hors de question d'unifier la fiscalité. S'agissant d'un sujet qui fâche, on n'a pas fini d'en entendre parler.
Sur le terrain social, enfin, il ne manque pas d'intérêt d'observer comment les différents peuples font face au problème universel des retraites. Le Danemark, champion de l'économie sociale, entend porter l'âge de départ de 65 à 67 ans. La Grande-Bretagne, par ailleurs confrontée à l'impécuniosité des caisses privées, s'apprête à porter ce même âge à 67 ou 69 ans. En augmentant, en contrepartie, la pension de départ. En France, l'âge de départ réel en retraite est toujours, en moyenne, nettement inférieur à 60 ans aujourd'hui, cette limite d'âge étant considérée comme «idéale» par neuf salariés sur dix. Certes, la loi Fillon aura pour conséquence d'élever progressivement l'âge moyen du candidat à la retraite, mais sur les bases actuelles, la France demeurera longtemps un pays de jeunes rentiers. Il faut toutefois tempérer la singularité de notre exception. Dans tous les pays où la cessation d'activité est repoussée, l'opinion se montre majoritairement hostile. Et en dépit de l'outrance qui caractérise les mouvements anti-CPE, il faut noter qu'aux Etats-Unis même, des voix s'élèvent pour encourager les Américains à protester contre la réelle précarité imposée à leurs emplois. Si bien que le juste équilibre, qui permette de concilier les réalités économiques et les aspirations légitimes du salarié, doit se situer quelque part entre le modèle anglais et le modèle français. Mais le curseur est d'évidence plus près de Londres que de Paris...
(Source : www.echos-judiciaires.com)
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