Depuis que la Bourse a stoppé son hémorragie, nos «grands visionnaires» (ces analystes et experts qui n’ont pas vu arriver «la crise») nous promettent des jours meilleurs… incessamment sous peu. Et puis, «la France ayant mieux résisté que les autres», comme nous l’assure notre Sarko-triomphant, la reprise prendra encore moins de temps qu’ailleurs à se faire sentir, dès ses premiers frémissements. On l’attend pour la rentrée qui devrait être chaude brûlante, pas sur les questions sociales mais sur les feux de la croissance économique retrouvée… sublimée… dans les mots.
Marche triomphale ou Bérézina ?
Parce que pour le moment, la Marche triomphale ressemble plutôt à une Retraite de Russie, à une Bérézina, sur le front de l’emploi, avec des plans de licenciements massifs qui s’intensifient dans tous les secteurs industriels.
Tiens, rien qu’aujourd’hui, ce sont 850 suppressions d’emplois qui sont annoncées chez Alcatel-Lucent. Une paille dans une meule de foin. Et pendant que l’on brade à tous les étages, les médias se focalisent sur quelques conflits sociaux, certes spectaculaires (avec «séquestrations de patrons» ou «menaces de tout faire sauter»), mais bien loin de refléter une situation générale plus sombre encore.
Si en ce moment on distribue les primes et les indemnités pour calmer les ardeurs revendicatrices des nouveaux licenciés, ailleurs, là où les licenciements ne sont pas assez massifs pour être vus et entendus, ça tombe comme à Gravelotte (en référence à une bataille meurtrière de 1870). Et ce, dans une indifférence syndicale, médiatique et politique assourdissante !
À la rentrée, ça va tomber comme à Gravelotte
Nous ne vous servirons pas une nouvelle fois la liste des licenciements annoncés ou en préparation un peu partout en France. Nous tenons une comptabilité très précise des destructions d’emplois sur Actuchomage depuis décembre 2008, date à laquelle nous avons avancé le chiffre d’un million de chômeurs supplémentaires en 2009 dans la seule catégorie A de Pôle Emploi quand le gouvernement et l’UNEDIC tablaient, eux, sur 200.000 à 300.000 chômeurs de plus. Depuis, les faits nous ont partiellement donné raison, tout le monde s’accordant à dire que nous sommes bien sur la pente du million de chômeurs supplémentaires.
Et on sait aujourd’hui que, même en cas de reprise début 2010, la situation va continuer à se dégrader toute l’année prochaine, avec en ligne de mire 3,5 millions de chômeurs (hypothèse basse) contre 2,5 millions aujourd’hui (dans la seule catégorie A, rappelons-le, en ces temps où la réalité du chômage en France est biaisée par des artifices statistiques bien connus).
Pôle Emploi se prépare à être encore plus submergé
La situation est à ce point catastrophique que Pôle Emploi, ne pouvant plus répondre à l’afflux des «mis à la porte», envisage de confier l’accompagnement de 320.000 demandeurs d’emploi au privé. Et ce chiffre devrait gonfler dans les prochains mois, à la grande satisfaction de Raymond Soubie (et ses héritiers), «conseiller social» de Nicolas Sarkozy qui, jusqu’en 2007, présidait Altedia. Aujourd’hui, ce groupe de conseil en ressources humaines est sur les rangs pour récupérer la manne du reclassement privé de ces centaines de milliers de déclassés. Un jackpot qui inspire au Canard Enchaîné de cette semaine un article intitulé : «Un chômage qui rapporte gros».
Dans ce contexte de dégradation généralisée et profonde de l’emploi, on nous promet une reprise fringante, alors que des centaines de milliers de licenciés vont voir leur pouvoir d’achat se dégrader plus que sérieusement dans les prochains mois (rappelons que le régime général d’assurance-chômage prévoit une indemnisation de 57% du salaire brut, soit l’équivalent de 75% du net). Il faudra effectivement que cette reprise soit tonitruante pour contrebalancer le basculement vers la précarité professionnelle (et financière) de centaines de milliers d’ex-travailleurs.
Même en cas de reprise, les inégalités vont se creuser
Aux USA, «la reprise plombée par le chômage» est le premier argument avancé par les économistes qui doutent de la probabilité d’un fort rebond en 2010, vu que là-bas, en un an, le chômage aura doublé (passant grosso modo de 5% à 10%). Et si jamais cette reprise se concrétisait pour de bon, elle se traduirait par une augmentation des inégalités… qu’on peut déjà observer en cette période où les banques et organismes financiers sortis de la tourmente remettent le turbo sur la distribution de primes en tout genre à leurs traders chéris.
Quand les uns continuent de se goinfrer, les autres commencent à sérieusement morfler. C’est ce qu’on appelle la «moralisation du capitalisme» que prônaient main sur le cœur messieurs Obama et Sarkozy, il y a quelques mois...
Une croissance à + 3% n’enrayera pas le chômage
Si la croissance redevient un jour positive, elle devra s’établir à plus de 3% pour atténuer les contrecoups de la récession dont nous ne sommes pas encore sortis, loin s’en faut. Il est même probable, comme vu plus haut, que le chômage de masse de ces derniers mois (et surtout la destruction quasiment irréversible de dizaines de milliers d’emplois par la fermeture pure et simple des usines) hypothèque plus que sérieusement les effets bénéfiques d’un rebond de croissance.
Mais l’heure n’est pas au pessimisme ! Pour certains elle est aux vacances qui, elles aussi, nous fournissent un avant-goût de ce qui se mijote pour les mois à venir. Du côté des tour-opérateurs qui vendent des voyages haut de gamme, c’est le boom ! Ou, au pire, un léger tassement. Du côté de ceux qui produisent des séjours moyenne gamme (pour «monsieur et madame tout le monde»), l’heure est aux invendus et à la grande braderie des stocks qui ne trouvent pas preneurs. Et comme dans d’autres secteurs, d’importants plans de licenciements se préparent chez les professionnels du tourisme après l’été. De quoi dynamiser, pardon dynamiter, plus encore l’hypothétique reprise qu’on nous promet...
Yves Barraud - APNÉE/Actuchomage
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