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De l'archaïsme des relations sociales en France

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De deux événements quasi simultanés - la victoire de Nicolas Sarkozy à l'élection présidentielle et le déclassement de General Motors au profit de Toyota comme premier constructeur automobile mondial -, l'histoire jugera quel est le plus important. Néanmoins, la question essentielle autour de laquelle devraient tourner les entretiens du président de la République avec les partenaires sociaux est bien celle-ci : pourquoi la France est-elle incapable de donner naissance à un leader mondial comme Toyota ?

Apporter une réponse collective à cette interrogation permettrait de résoudre une grande partie des blocages français. Le succès du constructeur japonais offre en effet un contraste saisissant avec nos entreprises. Non que certaines soient incapables d'être des leaders mondiaux, mais le management de Toyota à l'origine de sa réussite est - malheureusement - aux antipodes des pratiques françaises.

Un groupe japonais ne vend pas près de dix millions de véhicules chaque année, dont trois millions en Amérique du Nord, par hasard. Pour atteindre les deux objectifs fixés dès les années 1950 - l'organisation en flux tendus et l'amélioration permanente -, les dirigeants de Toyota ont mis en œuvre trois principes essentiels : le développement personnel des salariés, la lutte permanente contre le gaspillage, et la capacité de chacun à résoudre les problèmes et à participer à l'amélioration des produits ("Le Modèle Toyota" de Jeffrey Liker, Village mondial, 2006). Copié par la plupart des multinationales depuis les années 1980, l'ex-fabricant de métiers à tisser n'a jamais été égalé. De l'avis général, il dispose aujourd'hui d'une longueur d'avance dans la plupart des domaines, notamment la technologie hybride (double motorisation essence et électricité).

Si Toyota prend des parts de marché à ses concurrents américains et européens, ce n'est donc pas parce qu'il serait subventionné ou qu'il exploiterait ses ouvriers de manière éhontée - le japonais semble très heureux d'avoir ouvert une usine à Valenciennes malgré les 35 heures -, mais parce que son organisation du travail et son système de relations sociales lui permettent de proposer de meilleures voitures.

C'est là que la comparaison avec la France est cruelle. Même si les études internationales dans ce domaine sont aléatoires, tout indique que l'archaïsme des relations sociales en France a un impact direct sur l'organisation et donc les conditions de travail puis, in fine, sur la performance des entreprises. Comme le démontre l'économiste Thomas Philippon dans un essai très stimulant, "Le Capitalisme d'héritiers" (Seuil, 110 p., 10,50 €), les Français n'ont aucune allergie particulière au travail. Au contraire, ils sont, dans les pays développés, parmi ceux pour qui le travail est le plus important. De même, nombre d'entre eux jugent important d'apprendre à leurs enfants à "travailler dur".

Si cette thèse est exacte, le diagnostic de Nicolas Sarkozy serait faux : il n'y aurait pas de crise de la "valeur travail". En revanche les Français, explique Thomas Philippon, ne parviennent pas à travailler ensemble. "La mauvaise qualité des relations sociales en France est une caractéristique qui ressort de toutes les enquêtes disponibles, et ce de manière durable", écrit-il. Une étude réalisée en 2003 pour la Commission européenne le confirme : 50% des Français interrogés pensent qu’"il y a beaucoup de tensions entre les salariés et le management dans leur pays", un record dans l'Europe des Quinze, hormis la Grèce. De même, toujours à l'exception de la Grèce, la France se classerait dernière en Europe pour "la liberté de prendre des décisions dans son travail". L'anti-Toyota, en quelque sorte !

Certains attribueront ce climat aux directions des grands groupes. Pour M. Philippon, le fait qu'un grand nombre d'entreprises soient dirigées par des "héritiers" (au sens patrimonial ou sociologique par le biais des grands corps de l'Etat) explique, en grande partie, le manque de confiance généralisé dans les sociétés françaises. D'autres mettront en avant le rôle négatif des syndicats, dont certains considèrent toujours le profit comme illégitime et se méfient de la liberté laissée aux salariés, stade ultime de l'exploitation capitaliste !

Peu importe : le travail est toujours ressenti comme une souffrance. Et les conditions de travail ont tendance à se dégrader. Selon l'enquête menée tous les dix ans par le ministère du travail, entre 1994 et 2003 "l’exposition des salariés à la plupart des risques et pénibilités du travail a eu tendance à s'accroître". Les journées de travail sont moins longues, mais les contraintes organisationnelles et les pénibilités physiques augmentent.
Au nom de la défense de l'emploi, les syndicats ont longtemps hésité avant de faire de l'amélioration des conditions de travail une véritable priorité. Les récents suicides chez Renault ont montré qu'un certain nombre de représentants du personnel étaient aussi mal à l'aise que la direction face à ce phénomène. Pour le patronat, l'amélioration des conditions de travail est trop souvent vue comme un coût supplémentaire, et l'idée qu'un subordonné puisse avoir de meilleures idées que son supérieur est contraire à notre "logique de l'honneur". Du coup, toute négociation sur ce thème s'enlise.

Un signe ne trompe pas. Depuis vingt-cinq ans, un institut américain, Great Place to Work, sonde des dizaines de milliers de salariés pour classer les entreprises où il fait bon vivre. Depuis quelques années, l'institut élargit ses enquêtes à l'Europe dans les entreprises qui se portent volontaires. Dans la plupart des pays, l'institut a été obligé de limiter la participation à deux cents entreprises. En France, une soixantaine seulement se sont portées candidates. Conséquence : aucune entreprise française - à l'exception de quelques filiales de groupes américains - ne figure dans le Top 100 des entreprises où il fait bon travailler en Europe. On peut traiter par le mépris ce genre de classement. Mais, dans la compétition mondiale, les groupes n'ont que deux façons de s'en sortir : offrir les mêmes biens ou services que leurs concurrents à un prix moins élevé, ou en proposer de nouveaux. A moins de délocaliser la production dans un pays émergent, la première voie est vouée à l'échec. Reste la seconde : innover. Sauf à y consacrer des sommes folles, les entreprises ne peuvent que compter sur leurs salariés.

Or, sans motivation, pas d'innovation. Proposer aux salariés, volontaires, de travailler davantage a sans doute été politiquement payant pour M. Sarkozy. Mais la vraie rupture consisterait à les faire travailler plus intelligemment. Un défi qui, c'est vrai, ne saurait passer par un simple texte de loi.

Frédéric Lemaître pour Le Monde

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Mis à jour ( Mardi, 28 Juillet 2009 07:07 )  

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