Mais le gilet pare-balles, c’est pas votre truc. Et encore moins celui de votre femme et de vos deux enfants. Vous êtes ingénieur géologue et travaillez pour un grand groupe pétrolier français. Pépère le job. On sonde et on cherche de l’or noir dans tous les coins du monde. Le seul risque, c’est de revenir du grand nord avec des lèvres gercées ou de sortir du désert avec des coups de soleil. Supportable. Seulement voilà, votre boîte dispose d’un site d’exploitation au Nigeria, dans le sud, à Port Harcourt, précisément. Et la DRH vous propose d’y prendre des responsabilités, pendant un an. Une belle promo et un déménagement avec toute la famille.
Vu d’ici, le Nigeria, c’est calme. Pas de famine, pas de guerre civile. Mais en vous penchant sur la question, vous commencez à mesurer l’étendue du malaise. En un an, 200 étrangers ont été enlevés. Dont l’un de vos collègues au début du mois d’août. Pas plus tard que la semaine dernière, les autorités locales ont mis en place un couvre-feu après des affrontements qui ont fait des dizaines de morts. Votre boîte est d’ailleurs consciente du danger, puisqu’elle a déjà rapatrié nombre de ses salariés en France.
Port Harcourt n’a rien à voir avec Port Salut, quant aux cocotiers et au soleil toute l’année, vous risquez de ne pas en profiter, claquemuré dans des bâtiments sécurisés et gardés. C’est décidé : vous refusez. La DRH revient à la charge, trois fois de suite. Vous restez stoïque, jusqu’à la sentence : le licenciement pour non-respect du contrat de travail qui vous lie au grand pétrolier. Car, bien sûr, dans un job comme le vôtre on se déplace beaucoup et vous avez une clause de mobilité. Refuser le Nigeria, c’est rompre le contrat.
Cette aventure rocambolesque est réellement arrivée, le 3 août dernier, à un ingénieur français qui a refusé de déménager dans le chaudron nigérian. Selon les syndicats, qui dénoncent l’affaire, l’usage veut que les expatriations dans les pays à risque se fassent sur la base du volontariat. Un usage qui ne semble pas en usage dans le pétrole français. Evidemment, les deux parties risquent de se retrouver devant les Prud’hommes pour discuter de l’art et de la manière de risquer sa peau. Et on peut présager, sans être un prophète du droit social, que les juges vont donner raison au salarié. De même que l’on peut imaginer que dans un avenir difficile à quantifier, car lié à la vitesse d’exécution des affaires judiciaires, le volontariat devienne loi dans les cas d’expatriation vers des pays dangereux. Rien de plus raisonnable.
En attendant, il convient néanmoins de s’interroger sur l’humanité de la gestion des ressources humaines de certaines multinationales. Et de groupes qui n’ont pas seulement changé leur nom et leur logo depuis quelque temps : ils ont également changé de siècle. En retournant à la féodalité.
(Source : Cadremploi)
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