Nos dirigeants n'ont pas de problème de «pouvoir d'achat» puisque l'exercice du pouvoir tout court leur épargne d'un côté les problèmes de revenu (faisant carrière en politique et la plupart cumulant, ils sont grassement payés pour accomplir leurs fonctions), de l'autre des dépenses courantes (la plupart étant nourris, transportés et logés en sus aux frais de la nation, tant et si bien qu'ils ne connaissent plus le prix d'un paquet de pâtes, d'un plein d'essence ou d'un loyer !). Ceci explique pourquoi c'est toujours de leur bulle qu'ils considèrent le porte-monnaie des Français, surtout celui des «petits» : salariés, retraités, précaires ou privés d'emploi, tous ces individus jugés peu attractifs voire dignes de mépris, mais dont on oublie qu'ils tirent la demande intérieure, pilier de notre économie. Car là où un riche épargnera la moitié de son revenu après avoir acheté de clinquants produits étrangers, des millions de pauvres, eux, dépenseront tout en nourriture bien de chez nous.
Inutile de rappeler qu’afin de se faire élire Nicolas Sarkozy, grand timonier qu'il devient difficile de suivre, leur avait pourtant affirmé il y a un an qu'il serait «le président du pouvoir d'achat». Une formule choc qui a le mérite de lui retomber dessus comme un boomerang.
Pavé dans la mare
C'est sur ces entrefaites que le numéro de mars du salutaire magazine 60 Millions de Consommateurs, publié par l’Institut national de la consommation (INC), joue les trublions en démontrant que la hausse des prix est non seulement supérieure à ce qu'avancent les statistiques officielles, mais qu’elle est même «savamment orchestrée». Le «pouvoir d'achat» demeure un thème hypersensible face à un président qui s'est augmenté de 172%, perd les pédales et masque en vain ses promesses électorales derrière des écrans de fumée aussi variés que divers. Notre Premier ministre à mi-temps, vaguement épargné par les sondages, vient à la rescousse : «Il y a manifestement des abus de la part des industriels et des distributeurs qui profitent des hausses des matières premières agricoles pour accroître leur marge», semble-t-il réaliser, annonçant une «opération coup de poing» pour «voir où sont les abus». Pathétique !
Il suffit pourtant de regarder la télévision publique : dans le dernier numéro de l'excellent Complément d'enquête diffusé sur France 2 et France 5 au sujet de la grande distribution - où s'effectuent les deux tiers de nos achats -, il était fort bien expliqué comment les grandes enseignes se gavent des fameuses «marges arrières» (effet 100% pervers de la loi Galland du 1er juillet 1996 sur la soi-disant «loyauté des relations commerciales») qu'elles extorquent à leurs fournisseurs. Car en réalité, ces sommes fabuleuses engrangées abusivement profitent d'abord aux dirigeants & actionnaires ainsi qu'à la somptueuse déco des magasins, mais surtout pas aux salariés qu'elles emploient et encore moins aux consommateurs, éternels pigeons.
Petits arrangements entre amis
Conséquence : les fournisseurs (souvent des PME), qui sont l'objet de ce chantage commercial, non seulement finissent par gonfler artificiellement leurs prix de base pour compenser cette arnaque, mais doivent en plus leur accorder des délais de paiements à 90 jours alors que ces mastodontes n'ont aucun problème de trésorerie !
On voyait aussi comment les grandes enseignes s'organisent pour protéger leur suprématie (et leurs marges) par le biais des chambres de commerce, infestées de représentants de la grande distribution qui canalisent toute rivalité et empêchent notamment les hard-discounters de s'installer dans les zones commerciales, avec la bénédiction de la loi Raffarin du 5 Juillet 1996 visant à «réguler les implantations»... Et après on va nous dire qu'il faut «libérer le marché» pour «plus de concurrence» alors que règne, finalement, une belle entente cordiale ! Rappelant que notre taux d'implantation du hard-discount alimentaire est de 17% alors qu'il est de 43% en Allemagne, l'économiste Philippe Askenazy expliquait à Benoît Duquesne que cette loi prive des populations modestes de lieux d'achat à petits prix, et la France de milliers d'emplois supplémentaires. Seule alternative proposée pour le «dynamiser» : travailler le dimanche !
A l'issue de cette émission où l'on suivait une caissière de chez Carrefour, trop mal payée pour acheter les produits que vend son employeur et obligée d'aller faire ses courses chez Aldi, on comprenait aisément pourquoi les prix en France sont plus élevés que chez nos voisins. Avec ce système quasi mafieux sont floués les consommateurs, les salariés et les producteurs (de porc, ou d'autre chose : lire en commentaire…).
Couleuvres en promo
Heureusement qu'on nous exempte du discours sur la revalorisation du Smic et le coût des salaires qui font monter les prix ! Car preuve est faite que ce n'est pas dans la grande distribution qu'ils ruinent le business... Et même si certains «experts» osent encore brandir cet épouvantail (lire en commentaire), vu la grogne ambiante et la dangereuse fragilité présidentielle, mieux vaut éviter de pousser le bouchon.
On se demande comment François Fillon peut donc s'étonner des «abus» et chercher à les détecter alors que ce sont ses collègues et amis politiques qui, il y a quelques années, ont tout mis en place pour les favoriser. On sait que le discret M. Fillon n'a jamais manqué de nous mentir sur le chômage, l'emploi, les retraites ou sur le temps de travail des Français, à ses yeux les plus paresseux d'Europe. Et c'est avec un regard de chien battu qu'il nous disait encore cet été qu'il était «à la tête d'un pays en faillite». Sentiment qu'il s'évertue à marteler en refusant toute baisse de la TVA sur des produits de première nécessité, pourtant proposée par une cinquantaine d'élus UMP (lire en commentaire…). Avec ses 19.000 € par mois et la garantie d'une retraite confortable, la faillite du pouvoir d'achat, Fillon, connaît pas ! Mais peut-être goûtera-t-il bientôt à la faillite du pouvoir tout court ?
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