Passée presque inaperçue, c'est à Noël que le monde syndical s'est agité. Les discriminations au travail sont concernées au premier chef : même une victoire d'un préjudice reconnu verrait les indemnités accordées réduites aux cinq dernières années. Autant dire clairement aux entreprises que même si la discrimination est interdite par la loi, le risque financier s'affaiblit.
L'origine de la proposition s'appuie sur les conclusions d'une mission d'information sur les règles en matière de discrimination. Celle-ci soulève le manque de cohérence des règles et dénombre plus de deux cent cinquante délais de prescription différents.
Fallait-il rationaliser ? Peut être, mais si cette loi est votée ainsi, elle sera plus nuisible que bénéfique… sauf pour les «présumés coupables». Elle assèchera les nombreux procès gagnés depuis quinze ans par les victimes de discrimination, fortes indemnisations à la clef. La Cour de cassation l'a rappelé à maintes reprises : les dommages et intérêts accordés par les juges dans les affaires de discrimination dans l'emploi sont couverts par la prescription de trente ans. En effet, la discrimination est un processus qui se déroule dans le temps ; il permet de mesurer son ampleur et de réparer les carrières tronquées des victimes.
Depuis la fin des années 1990, les syndicats ont réussi à prouver les discriminations subies par leurs militants dans les entreprises. Notamment en utilisant la méthode mise au point par François Clerc - ancien mécano de chez Peugeot - établissant l'existence d'une discrimination, mesurant le préjudice subi et le réparant. Tribunaux et inspecteurs du travail l'ont accepté au point d'officialiser la «méthode Clerc» dans les cas de discrimination sexiste ou raciale.
Les milieux juridiques patronaux cherchaient encore le moyen d'y riposter : le Sénat ne pouvait pas leur faire plus beau cadeau ! Trop heureux qu'une telle réforme rende impossible tout recours à la négociation, l'entreprise serait délivrée du rapport de force que créait la menace du procès.
François Clerc ne capitule pas et a constitué un groupe de travail formé d'avocats, de professeurs de droit et de responsables CGT pour sensibiliser les députés et empêcher ce volet de la réforme de passer le cap de l'Assemblée. Espérons aussi que la HALDE - Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l'Egalité - se saisira du dossier pour rendre un avis éclairé au Parlement.
A l'heure où l'objectif de lutte contre la discrimination et l'inégalité salariale est proclamé jusqu'au plus haut niveau de l'Etat, le message est paradoxal : les entreprises prônent la diversité, veulent bien changer leurs pratiques, mais ne pas réparer le passé...
Vincent de ROCHER-LECLERCQ
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