Le négociateur de FO Stéphane Lardy a, d’ailleurs, fort bien résumé la chose en déclarant : «On a loupé une occasion d’avoir un texte qui réponde à la situation économique et sociale»... Et l’UMP d’annoncer la couleur, saluant «avec satisfaction» ce projet d’accord et conviant les syndicats à y «apporter dans les meilleurs délais leur signature»...
Stimulés par la trêve des confiseurs, c’est au bout d’une ultime séance-marathon de plus de 16 heures que patronat et syndicats ont finalisé, cette nuit, un accord "de crise" définissant de nouvelles règles d’indemnisation du chômage pour les deux années à venir (au lieu de trois habituellement, ses signataires ayant prévu de se revoir en janvier 2010 pour un premier bilan). Afin d’entrer en vigueur et être considéré comme légitime, ce texte doit recevoir, courant janvier, au moins trois signatures — dont celles d’un syndicat et d’une organisation patronale —, puis être agréé par le gouvernement. Résultat de sept séances de négociations étalées depuis le 15 octobre, ces nouvelles modalités, établies en dépit des préconisations de Bruxelles et à budget constant, s’appliqueront pour les primo-demandeurs, les autres privés d’emploi continuant à bénéficier du régime antérieur.
Des milliards pour les banques, rien pour les victimes du chômage !
Les syndicats ont gagné la bataille de la «filière unique» : comme certains d’entre eux le souhaitaient, il s’agit de simplifier les règles et d’élargir la couverture à un plus grand nombre de chômeurs. Ainsi, 100.000 (de source syndicale) à 300.000 (de source patronale) allocataires supplémentaires pourront bénéficier, après 4 mois de travail au lieu de six, d’une indemnisation selon le principe d’«un jour cotisé, un jour indemnisé». De même, la durée maximale d’indemnisation est portée à 24 mois, contre 23 actuellement. Néanmoins, rien de neuf pour les chômeurs ayant retrouvé un emploi et qui, comme avant, devront cotiser 6 mois pour rouvrir de nouveaux droits.
Problème : si, pour les uns, ce système est plus souple que le précédent, il réduit la couverture de beaucoup d’autres [1]. Tel un gâteau de taille inchangée duquel il faut obtenir davantage de parts, celles-ci seront — forcément — plus petites. «On va sortir énormément de personnes indemnisées, et beaucoup plus rapidement, vers les minima sociaux», a déploré le négociateur de la CGT Maurad Rabhi. Gageons que la mise en place du RSA, vanté comme le remède miracle censé améliorer l’ordinaire de ces personnes dès juillet 2009 (alors qu’il est en réalité nettement moins avantageux que les dispositifs actuels et, de surcroît, truffé d’effets pervers), a pesé dans la balance...
Selon le patronat, cette "largesse" équivaudra à un surcoût de 270 à 700 millions d’euros pour l’Unedic, une allégation fallacieuse : en effet, si «200 à 300.000» privés d’emploi — des chiffres, claironnés par le Medef et sa copine la CFDT, jugés «totalement fantaisistes» par la CGT — pourront toucher une allocation deux mois plus tôt, ils seront nettement plus nombreux à sortir plus tôt du régime (la CGT avance que 63% des chômeurs indemnisés verront leur durée d'indemnisation amputée de 1 à 9 mois, suivant les cas).
Des milliards ont été dégagés pour les banques, aucun coup de pouce n’est prévu pour l’Unedic. Le montant des allocations et leur mode de calcul restent les mêmes : leur niveau stagnera à 57,4% de l’ancien salaire brut bien que les syndicats aient souhaité le porter, modestement, à 60%. Rien ne changera non plus pour les jeunes de moins de 25 ans : la ridicule «prime forfaitaire» de 300 € (remboursable !) envisagée un temps est tombée aux calendes grecques, le patronat ayant estimé qu’ils seront les premiers bénéficiaires de l’assouplissement des règles d’entrée.
Quelques rescapés du naufrage
Par contre, les seniors semblent vaguement épargnés : les 50 ans et + conservent une durée d’indemnisation spécifique maximale de 36 mois [2], même si la période cotisée augmente (36 mois d’activité contre 27). Mais le texte prévoit par ailleurs de reculer progressivement, de 60 ans et demi actuellement à 61 ans début 2010, l’âge à partir duquel l’indemnisation chômage peut être maintenue jusqu’à liquidation de la retraite à taux plein, au plus tard à 65 ans. Ce qui augmente le risque de se retrouver sans allocation en attendant la retraite [3].
Epargnés aussi les travailleurs saisonniers : les dispositions qui les pénalisaient dans la dernière convention de janvier 2006 sont abrogées, et le seuil des 3 saisons au terme desquelles ils ne pouvaient plus bénéficier de l'assurance-chômage est supprimé.
Quant à l’indemnisation de la CRP (convention de reclassement spécialisé, dispositif considéré comme peu efficace et destiné aux victimes de licenciements économiques dans les entreprises de moins de 1.000 salariés, soit 25% des licenciements actuels), elle est considérablement améliorée puisqu’elle sera maintenue à 80% du salaire brut antérieur durant les 8 premiers mois au lieu de trois dans son ancienne version, puis à 70% durant les quatre mois restant. De plus, ses bénéficiaires étant rangés dans la catégorie 4 de l’ANPE — «stagiaires de la formation professionnelle» même si aucune formation n’est prévue… — au lieu de la catégorie officielle (la redoutable 1), cette petite rallonge ne mange pas de pain.
La baisse des cotisations toujours au programme
Le patronat a nettement gagné la bataille des cotisations en accomplissant un double tour de force. D’une part, à la demande de Laurence Parisot, Matignon a reporté pour une durée indéterminée la hausse des cotisations vieillesse qui justifiait la baisse concomitante des cotisations chômage. D’autre part, si dans un premier temps le patronat s’est assis sur cette dernière, il a fait en sorte de l’obtenir dès que possible à la condition suivante : dès le 1er juillet 2009, une baisse des cotisations chômage à hauteur de 0,5 point par an pourra s’appliquer si le résultat d’exploitation de l’Unedic présente un excédent de 500 millions d’euros sur un semestre [4]... En gros, cet accord va permettre aux patrons d’empocher l’excédent de l’assurance-chômage sous forme de baisse des cotisations sans améliorer la couverture des demandeurs d’emploi.
Le chef de file de la délégation patronale, Patrick Bernasconi (Medef), a plaidé que réduire les cotisations est «un besoin vital dans la situation de crise que traversent les entreprises». En temps normal, à force de privilégier leurs actionnaires, elles font déjà subir depuis des lustres leurs choix économiques à la collectivité toute entière, évitant au maximum d’assumer leurs responsabilités vis-à-vis de l’emploi — qu’elles n’assimilent pas à une quelconque «valeur travail» mais considèrent comme une vulgaire variable d’ajustement — et des salariés — qu’elles licencient, précarisent ou foutent à la retraite anticipée. Plus que jamais, leurs lamentations revendicatives atteignent des sommets de cynisme ! Côté syndical, la seule organisation à ne pas être dupe et à refuser tout compromis (n’en déplaise à la CFDT…) est la CGT : quoiqu’il advienne, à court, moyen ou long terme, déshabiller les chômeurs pour habiller les retraités demeure «inacceptable».
La résignation, ou la rue ?
Les syndicats, visiblement «déçus» et «amers», rendront leur décision comme suit : la CGT le 6 janvier (elle ne signera pas), FO «après le 6», la CFDT le 8 (gravement stupide, tentée comme à son habitude de signer mais ne souhaitant pas le faire «toute seule», elle persiste et entend bien rallier à sa cause les autres syndicats "réformistes", malgré la sanction qui leur a été infligée lors des récentes élections prud’homales). La CFTC se prononcera le 12 et la CGC le 20.
Dans ces conditions, pour 2009, on ne peut qu’espérer une seule chose : que les syndicats (hormis l’irrécupérable CFDT) accordent leurs violons et refusent, tous en bloc, de signer cet accord puis qu’ils fassent leur boulot, tous ensemble, et fassent monter la pression en vue d’une mobilisation générale — salariés, chômeurs, étudiants, retraités… — qui ne se limite pas qu’à la journée du 29, qualifiée d’inédite «depuis le CPE». Puisqu’à cause d’un «syndrome grec» notre sarcome de Kapozy a émis quelques craintes au sujet de la paix sociale en France, afin, notamment, de le dissuader de régler à sa façon le dossier de l’assurance-chômage en cas d’échec d’un paritarisme collabo, c’est à la rue de prendre inévitablement le relais, et sans mollir s’il vous plaît. I have a dream today...
[1] Quatre filières induisaient des paliers à atteindre :
• A (6 mois cotisés = 7 mois d’indemnisation)
• A+ (12 mois cotisés = 12 mois d’indemnisation)
• B (16 mois cotisés = 23 mois d’indemnisation)
• C pour les plus de 50 ans (27 mois cotisés = 36 mois d’indemnisation)
Avec le nouveau système, cela fera 1 mois en moins pour la filière A, jusqu’à 7 mois en moins pour la filière B et jusqu’à 9 mois en moins pour la filière C, ces deux dernières représentant le plus gros contingent d’inscrits.
[2] On rappelle que la mal nommée «dispense de recherche d’emploi» (DRE) des + de 55 ou 57,5 ans — qui n’est en réalité qu’une dispense de pointage et de suivi mensuel, non de recherche, aussi vaine soit-elle — est progressivement supprimée. La population concernée, dont les employeurs se débarrassent en premier lieu juste après les intérimaires, puis les discriminent illico à l’embauche, subira comme les autres le harcèlement en règle du nouveau Pôle Emploi.
[3] Parallèlement, on rappelle que l’allocation équivalent retraite (AER), minima social amélioré qui permettait aux chômeurs âgés en fin de droits de ne pas sombrer à l’ASS ou au RMI en attendant de pouvoir bénéficier de leur retraite, est supprimée dès le 1er janvier...
[4] On rappelle que, si les comptes de l’assurance-chômage sont excédentaires depuis trois ans, son déficit cumulé s’élève toujours à 5 milliards d’euros, soit l’équivalent de l’actuel déficit de la branche vieillesse de la Sécurité sociale.
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