Depuis la faillite de General Motors en 2008, son site français de Strasbourg — qui fabrique des boîtes de vitesse (notamment pour BMW, leur principal client) et emploie 1.150 personnes (alors qu'ils étaient encore 2.400 il y a dix ans !) —, avait été mis en vente et placé sous la gestion de la Motors Liquidation Company, société chargée de céder les actifs de l'ancien constructeur automobile. Mais dans le contexte de crise, aucun repreneur ne s'est engagé.
Puis, en juin 2010, la General Motors Company — nationalisée et détenue à 60% par l'Etat fédéral américain — ayant renoué avec les bénéfices, ses dirigeants ont proposé de racheter leur ex-usine française… pour 1 € symbolique, sous réserve que le coût de la main d'œuvre baisse de 10% : les crânes d'œuf de Detroit ont justifié leur exigence en comparant les prix de revient à Strasbourg avec ceux de leur site mexicain, où la fabrication d'une transmission coûte 100 dollars de moins.
Ainsi, la crise s'avère-t-elle profitable à certains !
Des syndicats collabos
Hier, dans le cadre d'un référendum organisé par la CFDT, FO et la CFTC, à la question «Êtes-vous pour ou contre le projet de reprise du site ?», 645 des 957 salariés présents ont répondu "oui" et voté le plan de reprise de la nouvelle entité GMC, le couteau sous la gorge et la peur du chômage au ventre. Cette «offre» conditionne le rachat de leur usine sans réduction d'effectif, en échange d'investissements importants (R&D, équipements…) et d'un carnet de commande étoffé jusqu'en 2014 qui induisent un gel des salaires sur deux ans, pas d'intéressement jusqu'en 2013, et une renonciation à plus d'un tiers des 16 jours de RTT actuels.
Dans un communiqué, la direction se frotte les mains : «Cette forte approbation montre que les salariés ont bien compris que l'avenir du site et de ses 1.150 emplois est la priorité. (…) Il appartient désormais aux délégués des quatre organisations syndicales représentées à GM Strasbourg de se prononcer sur les nouveaux accords collectifs». Ce que trois d'entre elles, sous couvert de "pragmatisme", vont s'empresser de faire. L'accord doit être entériné par le comité d'entreprise d'ici vendredi, date butoir fixée par la direction.
Le chantage à l'emploi : une affaire qui marche
Regrettant un «recul social», ces trois syndicats dits "progressistes" et organisateurs de la consultation se félicitent d'avoir obtenu que le revenu brut des salariés ne soit pas directement amputé. Quelle consolation !
Dénonçant le chantage de la direction, seule la CGT (deuxième syndicat du site derrière la médéfienne CFDT, majoritaire) a refusé de collaborer et appelé à voter "non" : «GM Strasbourg a toujours fait du bénéfice. Pourquoi devrait-on se sacrifier ? […] Le rôle des syndicats n'est pas de faire baisser le revenu des salariés. Nous n'avons pas à nous comparer aux travailleurs qu'on exploite au Mexique, en Chine ou je ne sais où.» De plus, l'effort de 10% demandé ne comble que 25% de l'écart avec les coûts pratiqués au Mexique, selon le syndicat qui s'attend à ce que de nouveaux sacrifices leur soient imposés dans l'avenir.
Donc, seuls 268 salariés (soit 29%) ont fait preuve de lucidité en se prononçant contre. Car ces sacrifices, comme on va le voir, sont aussi indignes qu'inutiles.
La vaine soumission
Avant GM Strasbourg, d'autres sont passés par là. On se souvient de Continental : en septembre 2007, les salariés du site de Clairois avait accepté par référendum de passer de 37h30 à 40h, un sacrifice qui n'a pas suffit à sauver leurs emplois. En mars 2009, ils ont appris la fermeture de leur usine qu'une spectaculaire mobilisation n'a pas pu empêcher.
On se souvient aussi de Hewlett-Packard, de Bosch ou de Doux : 20Minutes.fr a recensé plusieurs cas emblématiques de ces chantages patronaux qui, pour la plupart, n'ont servi à rien, sauf repousser l'échéance en détruisant au passage un maximum d'acquis sociaux. Car ce qui compte, c'est l'impact idéologique de ce chantage dans l'esprit des salariés : lentement mais sûrement, il les formate au renoncement. Par peur, par individualisme et/ou vision à court terme, enfin soumis, ces travailleurs consentent à tendre le bâton qui va les battre. Ainsi, le nivelage par le bas et le retour au XIXe siècle se font tout seul, et à grande échelle.
Une fois de plus et par le biais d'un large consensus syndical, la soumission de la victime est l'invitée d'honneur au bal des dominants. On a le sort que l'on mérite, dit-on : en cédant à ces scandaleuses pressions, en renonçant à sa dignité, le salariat manipulé et aveuglé, future armée de réserve de chômeurs & précaires à smicardiser, n'a plus que ses yeux pour pleurer.
«Celui qui combat peut perdre, mais celui qui ne combat pas a déjà perdu.» — Berthold Brecht
SH
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