Prenez un salarié moyen qui a commencé à travailler entre 18 et 20 ans et dont la carrière s'est déroulée normalement jusqu'à ce que son employeur se débarrasse de lui, vers l'âge de 45 ou 50 ans, à l'occasion d'une "fusion restructuration" : un licenciement économique (voire, une "rupture conventionnelle"…) lui a été proposé. Pour la première fois, le chômage est entré dans sa vie et va durablement ponctuer son parcours professionnel entre les missions d'intérim ou les CDD qu'il aura peut-être la chance de glaner par la suite, souvent pour un moindre salaire. Depuis le "retournement conjoncturel 2001-2003" qui a fait de nombreuses victimes et la crise de 2008 qui en a fait davantage, ce phénomène devient monnaie courante : les "trous" dès le milieu puis jusqu'en fin de carrière sont de plus en plus fréquents, de plus en plus longs, et le retour à la stabilité de plus en plus exceptionnel.
Imaginez que ce salarié soit une femme qui a déjà interrompu sa carrière pour élever un ou plusieurs enfants. Si cette femme a eu un bébé alors qu'elle n'était pas en CDI, le manque de places en crèche (quand on est au chômage, on n'est pas prioritaire…) et le prix des assistantes maternelles est un sérieux frein au retour à la vie professionnelle. Qu'elle ait pu reprendre un emploi à mi-temps ou rien du tout jusqu'à l'entrée de son enfant à l'école maternelle, ce sont autant d'années perdues pour sa retraite. Sans oublier le plafond de verre qui la poursuivra, les discriminations dont elle fera l'objet, ou les écarts de salaires avec ses homologues masculins.
Bienvenue en pauvreté !
Après 50 ans, les choses se compliquent : le marché du travail se referme. Après 55 ans, c'est la bérézina. Les allocations chômage se réduisent en montant et en durée, puis on arrive en fin de droits. Si on peut justifier de cinq ans d'activité salariée sur les dix dernières années et qu'on vit seul, on a droit à l'ASS (environ 460 €/mois) qui permet de continuer à valider ses trimestres; sinon, c'est le RSA… qui ne valide rien du tout. Peut-être a-t-on eu la chance d'ouvrir des droits à l'AER (environ 995 €/mois), qui était attribuée automatiquement aux chômeurs de plus de 55 ans à l'ASS ou au RSA, avant que les réformes successives ne reculent inexorablement son accès, puis ne la supprime.
Imaginez le déclin financier. De travailleur gagnant environ 1.600 € (un salaire médian), on devient chômeur à 1.200 €, en alternant si possible les petits boulots mal payés. Mais on réalise que c'était l'abondance quand on passe aux minima sociaux.
La retraite n'est pas une délivrance
Avec l'ASS, quel que soit le montant de son loyer, on a droit à une aide au logement forfaitaire de 298 €. Puis, pour des raisons de seuil, il faut attendre plusieurs mois avant de pouvoir bénéficier de quelques droits connexes qui sauvent un peu la mise : la CMU, le tarif de première nécessité, la gratuité des transports… C'est raide, très raide, mais il n'y a pas le choix : on s'adapte. On est, malgré soi, un pionnier de la décroissance.
Quand l'heure de la retraite sonne et qu'on n'a pas le courage d'attendre l'âge du mal nommé "taux plein", bien qu'on n'ait pas réussi à totaliser ses 40 annuités et que les "25 meilleurs années" ne sont franchement pas terribles, on pense malgré tout qu'on en aura plus pour vivre, le minimum vieillesse étant à fixé à 709 €/mois. Effectivement, suite à de savants calculs au parfum de décote, on se retrouve avec une pension minorée de 800 €, soit près du double de ce que l'on avait. Mais les 350 € que l'on gagne d'un côté, on vous les enlève de l'autre... Car les allocations logement fondent comme neige au soleil; on n'a plus droit à la CMU et on doit se payer sa propre mutuelle alors que la santé commence à défaillir; pour bénéficier de la carte de transport Améthyste, il faut avoir plus de 65 ans... Au final, on est toujours aussi mal loti !
Pauvre on a été, pauvre on le reste. On est enfin débarrassé de Pôle Emploi et de l'étiquette infamante du "chômeur", mais on devient un misérable retraité.
Alors oui : depuis les Trente Glorieuses, la pauvreté a fortement reculé chez les personnes âgées et aujourd'hui, avec le chômage et la précarisation de l'emploi, ce sont nos jeunes qui en souffrent le plus, ce qui est révoltant. Cependant, l'appauvrissement de nos "anciens" est en train de revenir en force. Bientôt, plus vite qu'on ne l'imagine, juniors et seniors seront à égalité, unis sous la même bannière.
SH
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