On l'a déjà dit : l'année 2011 est rayée du calendrier. Seule 2012 compte. Si 2011 sera encore une année noire pour la plupart d'entre nous, elle sera une année blanche pour la plupart de nos politiques, omnubilés par la course au pouvoir. Tant pis pour ceux qui souffrent du chômage, de la dégration de leurs conditions de travail et de vie, de la flambée des prix — énergie, logement, alimentation… — qui les appauvrit : la priorité, c'est de s'intéresser à l'impôt des Français les plus fortunés (ou de remettre les immigrés dans les bateaux). Plus que jamais, les conséquences de la crise sont tues : depuis deux ans, jamais les actualités sociales n'ont été aussi chiches, comme si, de ce côté-là, il ne se passait rien.
On rappelle que nos castes dirigeantes actuelles — que certains qualifient à juste titre d’«oligarchie» — se composent de la finance, du grand patronat, des politiques et des grands médias. Ces quatre pouvoirs tiennent le monde en se serrant mutuellement les coudes. Ainsi, les politiques en place œuvrent au service de la finance et du grand patronat, avec la complicité des grands médias. Comme sous l'Ancien régime, ces nouvelles castes sont endogènes : passant volontiers de l'une à l'autre au gré de leur carrière, ses membres les plus assidus se maintiennent dans le Cercle et assoient leur puissance, indéboulonnables.
La démocratie en danger
Dans ce quartette, la part des médias n'a cessé d'évoluer et de croître. Autrefois contre-pouvoir indispensable au bon fonctionnement de la démocratie, le métier de journaliste consistait à informer, analyser, porter un regard critique, et parfois mettre à jour les scandales. Aujourd'hui, la profession est totalement dévoyée : au lieu d'instruire le peuple sur des sujets difficiles mais indispensables (comme, par exemple, le fonctionnement de l'économie), elle le désinforme et le manipule sous couvert de ne pas être "rébarbatif"... Au lieu de prendre le temps de creuser, on zappe selon le principe du «temps de cerveau disponible» afin de rester «grand public». Quant aux besogneux qui font encore leur travail, ils s'exposent au harcèlement judiciaire.
Outre se contenter de relayer sans ciller le discours gouvernemental, la sphère médiatique française lui donne abondamment la parole : à la télévision, deux invités sur trois font partie de la majorité aux affaires. Quant aux «experts de base», ils sont des ouvriers de la pensée unique se vautrant avec délectation dans la vacuité du spectacle. Ainsi maintient-on le bon peuple dans l'ignorance afin de le neutraliser. Pour les anticonformistes, ceux qui proposent des analyses hétérodoxes ou un autre modèle de civilisation, la «couverture médiatique» a rétréci au lavage : on leur réserve éventuellement les émissions tardives ou confidentielles; sinon, on leur laisse le web et les publications «sérieuses».
Les faiseurs d'opinions
Il suffit d'un sondage, généralement basé sur peu de choses, pour susciter un «emballement de la machine médiatique» (le média, déshumanisé, est donc une machine incontrôlable). On l'a vu avec Dominique Strauss-Kahn, qui a bénéficié d'un engouement monté de toutes pièces des semaines durant alors que le directeur du FMI n'avait certainement pas songé lui-même à revenir en France ni faire acte de candidature pour 2012. Maintenant que le soufflé est retombé et que l'affaire tourne au ridicule, on passe à autre chose : le sondage Harris Interactive publié samedi dans Le Parisien sur les intentions de vote des Français… à quatorze mois du scrutin, vanté comme une «alerte», tombe à pic pour créer un nouvel écran de fumée.
Car c'est bien de cela qu'il s'agit : d'un écran de fumée. George Orwell avait listé, selon lui, les trois grands maux de l'humanité : «l'idôlatrie nationaliste», le «mensonge organisé» et la «distraction permanente». Nous y sommes !
Le spectre du 21 avril 2002
Alors qu'ils devraient se faire une opinion par eux-mêmes sur des bases sérieuses afin de voter en leur âme et conscience, «les gens se sont mis à intégrer les sondages dans leurs raisonnements», a benoîtement admis le politologue Roland Cayrol, hier soir à "C dans l'air" sur France 5. Certains de ces sondages, aussitôt relayés par un «emballement médiatique», influencent désormais les électeurs : sauf erreur, cela s'appelle de l'instrumentation.
Résultat, «on est beaucoup plus stratège parce qu'on sait ce qu'on risque», a poursuivi le fondateur de l'Institut de sondages CSA, plaidant par la même occasion pour le «vote utile». Tant pis pour la morale démocratique : les petites candidatures «de témoignage» ou «d'agitation d'idées», dont les porte-parole n'ont aucune chance d'être élus, sont en filigrane accusées de polluer les élections et priées de céder leur place aux grandes formations — toujours les mêmes — face au «danger frontiste». Jean-Luc Mélenchon, qui a qualifié Marine Le Pen de «diable de confort des piliers du système», a tout compris. Adieu le débat démocratique : ce sont les sondeurs et les éditocrates qui le confisquent et le mènent à notre place, en le vidant de sa substance. Si ce n'est pas une forme de dictature, comment qualifier cet état de fait ?
Et voici qu'après DSK, les médias jettent leur dévolu sur Marine Le Pen, lui donnant une image flatteuse sinon acceptable. Avec l'esprit moutonnier qui les caractérise, tous font sa promotion. Marine Le Pen n'a pas besoin de faire campagne pour le moment : d'autres, à des degrés divers, la lui font gratis. Le résultat est pathétique.
SH
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