Dans un arrêt, la Cour de cassation vient d'estimer que l'existence d'un harcèlement moral dépend de celui qui le ressent et non de la volonté de celui qui le commet. Soit. Mais la Chambre sociale de la plus haute juridiction de l'ordre judiciaire français ne s'arrête pas là. Selon elle, un patron ou un supérieur hiérarchique peuvent commettre des faits de harcèlement moral sans en avoir l'intention et, peut-être, sans le savoir. Un patron risque donc de devoir payer des dommages-intérêts à son employé pour des faits commis inconsciemment... Un «risque quasi mortel», dirait Laurence Parisot (on se demande bien pour qui) quand il s'agit d'assumer ses responsabilités, qu'elles soient morales ou financières.
Une interprétation choquante
Il est vrai que, si l'on vous tape dessus, mieux vaut réagir. Avertir l'autre qu'il vous fait mal (au cas où il ne s'en rendrait pas compte…) et le sommer d'arrêter. Ensuite, si votre agresseur s'obstine, il faut sévir. Il est vrai que si une victime ne porte pas plainte contre son assaillant, le délit ne peut être acté. Peut-être est-elle, tout bêtement, consentante. Sauf que, par exemple, dans un contexte domestique, une femme qui subit sans moufter les actes de violence répétés de son compagnon continuera à se prendre des coups jusqu'à ce que mort s'ensuive, et ce n'est qu'à cette terrible issue que le conjoint brutal sera mis sous les verrous. Après l'enterrement, il ne restera plus qu'à qualifier l'homicide : Était-il volontaire ? Involontaire ? Accidentel ? Pour se défendre, l'accusé prétendra toujours qu'il n'a pas voulu tuer...
En ce qui concerne le harcèlement moral dans un contexte professionnel où la violence est larvée, insidieuse et peut aboutir au suicide de la victime, ce qui est dérangeant, c'est supposer d'emblée que l'agresseur — qui prétendra toujours qu'il n'avait pas l'intention de nuire… — n'est pas nécessairement responsable de ses actes. Ici, la «présomption d'innocence» est donc réaffirmée de manière souveraine par la Cour de cassation, quand bien même pourrait-il s'agir de «mise en danger de la vie d'autrui». Dura lex, merde in France...
Négation de l'autre, et banalisation du mal
Les volontaires de l'expérience de Stanley Milgram ou du "Jeu de la mort" de Christophe Nick ne savaient-ils pas qu'ils infligeaient des décharges mortelles ? (Oui, bon, elles ne l'étaient pas... Mais personne ne le leur a dit, donc elles étaient censées l'être.) Que dire des managers nourris à la méthode EKR — l'instrumentation de la «courbe du deuil» d'Elisabeth Kübler-Ross ? Certes, ces cadres dirigeants ne sont pas des psychiatres ou des psychologues. Mais faut-il avoir des connaissances en ce domaine pour nier à ce point la souffrance d'autrui quand elle devient visible ou audible ?
Quand Didier Lombard, alors Pdg de France Télécom, a osé qualifier de «mode» la vague de suicides au sein de son entreprise et que Louis Pierre Wenès, le numéro 2 du groupe, déclarait tranquillement au Nouvel Observateur ne rien regretter des décisions prises alors qu'il était l'instigateur du «management par la peur» à France Télécom, étaient-ils inconscients ? Cette banalisation du mal au nom de la compétitivité, n'est-elle pas répugnante ? Ce déni de l'individualité d'autrui propre aux psychopathes, n'est-il pas dangereux ? Dans un contexte de guerre économique permanente où les harceleurs, qu'ils s'ignorent ou pas, sont eux-mêmes soumis à l'autorité et poursuivent leurs exactions sous la pression hiérarchique, comment la Cour de cassation peut-elle faire abstraction de la responsabilité individuelle de chacun, de l'éthique, de la morale ?
La soumission librement consentie
De la même façon qu'il a facilité les licenciements en plaidant pour un «divorce à l'amiable», vœu que le gouvernement s'est empressé d'exaucer, le Medef songe désormais à parachever son œuvre en contournant les risques inhérents au harcèlement moral qui, à l'instar des salaires, est encore un coût à réduire.
C'est notre ami Slovar qui a vendu la mèche. Le 29 mars prochain, le Medef (qui, pour se goinfrer, n'a plus des oursins plein les poches) organise un «déjeuner EBP» — Échange de Bonnes Pratiques — «décalé» entre DG d'entreprises de plus de 200 salariés. Dans le salon privé d'un hôtel du 16e arrondissement de Paris, entre la poire et le fromage, il sera question d’«amener les gens à faire librement ce qu'ils doivent faire» :
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Epoustouflant, non ? Puisque la liberté est un paradoxe, à grands coups de «principe de naturalisation» ou de «dénaturalisation», comment motiver son salarié et l'amener à obéir en flattant ses bons instincts — serviabilité, honnêteté, exemplarité… — alors que, soi-même, on n'obéit qu'aux instincts les plus vils — rapacité, exploitation et négation d'autrui… —, fallait y penser. Ainsi, le Medef tient sa solution finale : nous transformer en marionnettes et en parfait moutons. (D'ailleurs, mardi 29 mars, il serait très amusant d'aller les accueillir en bêlant dès midi au 88 bis de l'avenue Kléber, question de mettre nos loups en appétit...)
Robert-Vincent Joule, chantre de ce concept de psychologie sociale qui date de 1966, animera la séance. Il estime «que l'on peut efficacement influencer autrui, dans ses actes et ses convictions, sans avoir à recourir à la séduction, à l'autorité, ni même à la persuasion». On pense aussitôt à la 10e stratégie de manipulation des masses qu'on attribue au grand Noam Chomsky.
Ainsi se dessine l'avenir du management en entreprise. Nous voilà avertis !
SH
Le Pr Robert-Vincent Joule en pleine action :
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Commentaires
plus d'infos ici sur les techniques employé : en gros on vous invite a céder sur de petites choses pour que vous acceptiez ensuites les plus grosses couleuvres Répondre | Répondre avec citation |
Perso, je pense la lecture des bouquins de joule et beauvois comme saine. Rien de mystique la dedans. Répondre | Répondre avec citation |
2) En supposant que Chomsky n'en soit pas l'auteur, ces dix points n'en demeurent pas moins pertinents.
2) Quant à Joule et Beauvois, il ne s'agit pas de "mysticisme" mais de méthode Coué 100% manipulatoire. Le principe est malsain, pour ne pas dire puant. Répondre | Répondre avec citation |
1) Ce n'est pas mediapart mais un blog associé, le texte original est de Sylvain Timsit => http://www.syti.net/Manipulations.html .
2) Jamais prétendu le contraire , et quand bien même!
3) Joule et Beauvois décrivent "des ressorts d'influence", ceux-ci sont quantifiables, observables et reproductibles cliniquement, ce sont des travaux universitaires.
Qu'est-ce qui n'est pas manipulation?
Le simple fait de se laver les mains avant/après bouffer est une soumission librement consentie, le fruit d'un apprentissage. Répondre | Répondre avec citation |
2) Votre comparaison ne tient pas la route ! Se laver les mains est une soumission librement consentie, fruit d'un apprentissage visant à participer à l'intérêt général (éviter les maladies et les épidémies). Par contre, la "soumission librement consentie" selon le Medef vise à manipuler les salariés non pour l'intérêt général mais celui d'une caste dirigeante, dont les actionnaires.
Se laver les mains avant ou après les repas n'a jamais aliéné les individus et ne les a jamais poussés à se nuire les uns les autres !
SH Répondre | Répondre avec citation |
2) L’exemple du lavage des mains est donc bien choisi. Ensuite, vous instrumentalise z mes écrits, à aucun moment je ne m’épanche sur le medef et la soumission ou sur sa vision de la susdite. Les théories de Joule/Beauvois sont une chose, l'usage qu'en font certains et leur éthique en sont une autre. (nos avis sur l’éthique du medef semblent convergents)
Donc, je maintiens, lire Joule et Beauvois est une bonne chose. D'ailleurs, tout un chapitre de « la soumission librement consentie » est consacré à l’ex ANPE ; façon de faire adhérer le « public », etc.
Ceci est ma dernière contribution, vais pas troller toute la nuit pour compenser je ne sais quoi. Répondre | Répondre avec citation |
Grâce à votre insistance dont je vous remercie, j'ai trouvé une conférence filmée de Robert-Vincent Joule sur Dailymotion : je l'intègre dans mon article afin d'éclairer nos lecteurs.
Ce qui est triste, c'est que ce brillant professeur vienne en personne animer une séance de brainstorming du Medef : pourtant, il doit bien avoir une idée de ce que le patronat compte faire de ses travaux. Combien est-il payé pour initier ces DG à ses théories ? Quelles sont ses motivations ? Je ne peux m'empêcher de penser à des gens comme Fritz Haber, prix Nobel de chimie qui, en toute conscience, a mis au point les gaz de combat durant la Première guerre mondiale et fut à l'origine du Zyklon B.
Bien@vous,
SH Répondre | Répondre avec citation |
http://www.chomsky.fr/nouvelles/index.php?2010/10/12/20/00/45-a-propos-des-dix-strategies-de-manipulation-de-masses-attribuees-a-noam-chomsky
http://www.legrandsoir.info/A-propos-des-dix-strategies-de-manipulation-de-masses-attribue-a-Noam-Chomsky.html
Cdlt et merci pour votre excellent travail Répondre | Répondre avec citation |
http://2ccr.unblog.fr/2010/11/01/la-violence-du-harcelement/ Répondre | Répondre avec citation |
Même les médecins sont attirés par servir ces grands puissants que mettre leurs connaissances au service de l'humanité !
Nous ne sommes pas prêts de sortir de ce cercle vicieux. C'est le patronat et la finance qui gouvernent. On voudrait faire croire que les politiques auraient des pouvoirs… Il en n'est rien ! Pour l'argent, ils sont prêts à pacter avec le diable ! Répondre | Répondre avec citation |
comment ca se fait qu'on ne peut plus voir les vidéos ? Répondre | Répondre avec citation |
chez moi, apres avoir cliqué sur la photo :
http://cjoint.com/11mi/AEbtEtObLIA.htm
peut etre y a t il plusieurs flux en fonction de ce que sait lire le navigateur ?
si ca se trouve, il suffit de supprimer le lien vers le flux qui n'existe pas, et mon navigateur en essayera un autre Répondre | Répondre avec citation |
Il faut dire que pour avoir des subventions et un salaire (salarié) certains n'hésitent devant rien.
Une sorte de mafia à l'Italienne… ?? Répondre | Répondre avec citation |
Au moins avec le revenu universel , dans le monde du travail on pourra mieux se soustraire à ce type d'abus de pouvoir machiavélique. Répondre | Répondre avec citation |
Du temps de mon passage éclair à l'université en "sciences de l'homme et de la société" en 1995 ,on nous avait demandé d'acheter ce livre :
"Petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens" de Joule et Beauvois. On y retrouve un chapitre consacré à la soumission librement consentie.
Un passage de ce chapitre:
"Dans tous ces cas,le sujet est amené à réaliser le comportement que l'on attend de lui mais dans un contexte qui garantit son sentiment de liberté et qui exclut même toute représentation de soumission. C'est la raison pour laquelle nous proposerons l'expression de soumission librement consentie pour traduire cette forme de soumission particulièremen t engageante, qu'elle nous conduise à agir à l'encontre de nos attitudes, de nos goûts, ou qu'elle nous conduise à réaliser des actes d'un coût tel que nous ne les aurions pas réalisés spontanément. Tout se passe dans cette situation, pour le moins singulière, comme si l'individu faisait librement ce qu'il n'aurait jamais fait sans qu'on l'y ait habilement conduit et qu'il n'aurait d'ailleurs probablement pas fait sous une contrainte manifeste"…
voilà pour l'info
Ps: sinon tout le monde manipule dans sa vie je pense…
Ce livre est assez intéressant. En résumé,on y apprend comment amener autrui à faire ce qu'on voudrait le voir faire (et peut être surtout comment nous sommes conduits à faire ce qu'autrui voulait que nous fassions…) avec des techniques comme le pied dans la porte, l'effet boule de neige, l'effet d'engagement etc… Répondre | Répondre avec citation |
Les démonstrations sont remarquable, évidentes que l'on se demande même pourquoi l'on paie ce monsieur plus de 50 000 € par an, pour enseigner 4 heures par semaines le fruit de ces études si basique.
Là ou il est très fort, c'est qu'il arrive à convaincre les entreprises de mettre en application ces techniques, on passera sur la rémunération qu'il touche pour ce genre de prestation.
Hervé85, ça ne marche pas, ça crée de la frustration, c'est une supercherie, en entreprise, ceux qui "résiste" sont écartés, reste donc le grand manitou est ceux qui font semblant.
Vous êtes heureux de vous faire plumer par les radars fixe ? non, pourtant, depuis 10 ans, l'état à mis en application ce qui est décrit dans la vidéo :-)
Pensais par vous mêmes, et surtout gardez l'esprit critique, très critique ! Répondre | Répondre avec citation |