Petit rappel des faits. Fin 2008, sous prétexte de "stimuler l'emploi des seniors" — comme s'ils avaient envie de rester chez eux, payés à ne rien foutre alors que ce sont les entreprises n'en veulent plus ! —, en réalité pour faire des économies — car l'AER est une allocation chômage du régime de solidarité [1] assumée par l'Etat et dont le coût s'élevait à 650 millions d'euros par an —, décision avait été prise de la supprimer le 1er janvier 2009. Cette suppression, qui épargnait les quelque 60.000 seniors ayant déjà accédé au dispositif, prenait effet pour les nouveaux entrants de façon à aboutir, année après année, à son extinction totale.
Sauf qu'en 2009, la crise entamait ses ravages. Face au tollé général, l'AER avait été "exceptionnellement" rétablie par décret le 29 mai suivant. Le scénario s'est reproduit en 2010 où, suite à un long suspense (le décret est paru le 6 mai), le gouvernement a encore cédé à la pression, notamment syndicale. Jamais deux sans trois, serait-on tenté de dire. Sauf que, pour 2011, le célèbre dicton pourrait ne pas se vérifier...
Une situation ubuesque
Car le gouvernement, qui refuse de voir les choses en face, estime désormais que la crise est derrière nous ! Pourtant, le chômage ne baisse pas et le nombre de personnes de plus de 50 ans qui s'inscrivent à Pôle Emploi continue de progresser : à fin février, on en compte plus de 760.000 dans les catégories ABC (+1% sur le mois et +14% sur l'année).
Parmi elles, certaines sont proches de la soixantaine et totalisent les 162 trimestres requis par l'assurance vieillesse pour liquider leur retraite, mais elles n'ont pas encore atteint l'âge légal pour y prétendre (sachant que cet âge passera progressivement de 60 à 62 ans à partir du 1er juillet et jusqu'en 2018. Sachant que les employeurs continuent à se débarrasser de leurs "anciens" et qu'ils les discriminent à l'embauche...). Ces personnes sont condamnées à rester au chômage et cette année, pour quelque 30.000 d'entre elles, l'indemnisation s'achèvera, ce qui signifie qu'elles se retrouveront aux minima sociaux.
Malgré cet accablant constat, dans un contexte toujours aussi fragile, le gouvernement ne renonce pas à la mort de l'allocation équivalent retraite, condamnant ainsi ses bénéficiaires potentiels à la pauvreté alors que l'AER leur aurait permis de recevoir un revenu plus "acceptable" (environ 990 €/mois, soit plus du double de l'ASS ou du RSA) en attendant de pouvoir accéder enfin au statut de retraité, un peu comme on sort d'un cauchemar.
Une guerre d'usure
Les syndicats ont relancé le gouvernement. Le temps presse, mais il fait la sourde oreille. Par son silence aussi coupable que méprisant, le gouvernement montre qu'il souhaite définitivement tourner la page d'un dispositif jugé "coûteux". En effet, fin 2010, 51.000 chômeurs âgés touchaient l'AER pour un budget de 480 millions d'euros. En 2011, si l'AER n'est pas reconduite, la seule poursuite de l'indemnisation des bénéficiaires restants ne lui coûtera plus que 297 millions, soit une économie de 180 millions… alors qu'il s'apprête à redistribuer 2 milliards d'euros aux plus riches détenteurs de patrimoine !
Octroyer de l'argent public à ceux qui en ont le moins besoin est bien ce qui caractérise le mandat de Nicolas Sarkozy. Sous le joug d'une UMP aussi irresponsable qu'antisociale, l'Etat se déresponsabilise sur tous les fronts (handicap, logement, formation…). Dernier exemple en date : le remplacement de l'AFDEF par la misérable R2F, manœuvre réussie d'un énième désengagement financier. La recette est claire : à force de chantage et de bras de fer repétés, l'UMP fait en sorte que l'Etat ait de moins en moins (voire plus du tout) à assumer le coût de certains dispositifs dont il avait la charge tout en la reportant sur d'autres organismes; ici, en l'occurrence, l'Unedic qu'il veut contraindre à endosser cette allocation.
L'AER dans l'impasse
Les partenaires sociaux de l'assurance-chômage doivent bientôt plancher sur les nombreuses (et désastreuses) conséquences de la réforme des retraites. L'année dernière, François Fillon les avait chargés d’"intégrer" cette réforme "dans la convention assurance chômage", promettant, une fois celle-ci négociée, de mettre en place "un système équivalent à l'AER, pérenne, pour les travailleurs les plus âgés". Sauf que le Medef a balayé toute discussion, reportant les sujets qui fâchent à 2013 : sur sa demande, à partir de septembre, des groupes de travail paritaire "politique" vont se réunir toutes les 6 semaines afin d'élaborer les bases du prochain accord, qui promet d'être houleux. Le patronat tout-puissant a donc instauré le vide autour du problème des seniors, favorisant l'inertie du gouvernement sur l'étude de la nouvelle allocation promise par le Premier ministre.
Face au Medef, les syndicats de l'Unedic tenteront une fois de plus de défendre les seniors, menacés notamment par le report des bornes d'âge. Mais autant pourront-ils tenter d'adoucir le sort des moins de 67 ans n'ayant pas tous leurs trimestres (c'est le nouveau rôle que le gouvernement a assigné à l'assurance chômage : prendre en charge la majeure partie des victimes de sa réforme), autant ils estiment que le sort de ceux qui les totalisent ne leur incombe pas : ils font valoir, à juste titre, que les cotisations perçues par la CNAV et les droits qui en découlent doivent, par défaut et du fait de la volonté du gouvernement lui-même, continuer à être assumés par lui, c'est-à-dire l'Etat.
Plié, pas plié ? Le suspense reste entier
Les syndicats continuent à mettre la pression. On le voit, leur marge de manœuvre est faible. L'AER est une allocation d'Etat, et la balle est dans son camp. Reste la corde sensible : les syndicats parient sur le fait qu'il serait délicat, pour le gouvernement, que sa réforme des retraites ait pour conséquence le basculement vers la pauvreté de chômeurs âgés ayant tous leurs trimestres de cotisation. Mais, on le sait, l'UMP ne s'embarrasse pas de scrupules et sa sensibilité est à responsabilité limitée.
La CFDT garde espoir. En 2009 et 2010, les décrets prolongeant l'AER ont été publiés en mai : nous sommes en avril, tout peut encore arriver. De son côté, la CGT ne se fait aucune illusion : bien qu'elle ne baisse pas les bras, pour elle, mieux vaut s'attendre au pire. Car l'UMP sait qu'elle sera battue en 2012. Si on la voit tenter de reconquérir une partie de son électorat, celui des chômeurs ne l'a jamais intéressée et, même en désespoir de cause, ce n'est pas demain la veille qu'elle lui fera une fleur.
SH
[1] L'ASS, minima social créé en 1984, est aussi une allocation chômage du régime de solidarité. Versée à quelque 380.000 chômeurs en fin de droits pour un montant moyen de 460 €/mois, illimitée tant que ses allocataires remplissent les conditions pour la percevoir, elle coûte 2 milliards d'euros par an à l'Etat. C'est aussi une épine dans le pied pour l'UMP qui n'aura, dieu merci, pas le temps de s'y attaquer d'ici 2012 (bien que, régulièrement, courent des rumeurs sur une réforme comprenant sa limitation dans le temps). Heureusement pour l'ASS, elle touche sept fois plus de personnes que l'AER : un tel dispositif, loin d'être une "niche", est donc nettement plus délicat à démanteler.
Articles les plus récents :
- 12/05/2011 18:56 - ISF vs RSA : une justice fiscale et sociale à deux vitesses
- 12/05/2011 14:29 - Laurent Wauquiez ou le degré zéro de la politique
- 09/05/2011 04:58 - Le vrai visage de Laurent Wauquiez
- 04/05/2011 17:27 - Les agences de notation contrôlent tout
- 27/04/2011 23:51 - Chômage de mars : encore une fausse baisse
Articles les plus anciens :
- 21/04/2011 10:10 - Non, l'emploi ne redémarre pas !
- 21/04/2011 05:28 - Il n'y a pas que fumer qui tue
- 19/04/2011 11:21 - Revalorisation du Smic depuis 2007 : 10 cigarettes par jour !
- 18/04/2011 08:35 - La généralisation du sous-emploi précaire a ses limites
- 16/04/2011 05:55 - Et revoilà la fraude sociale !