L'information est parue ce matin dans La Voix du Nord.
On retiendra la réflexion du représentant du parquet qui a observé qu'«il vaut mieux un pauvre qui vole du cuivre qu’un riche qui braque une banque» (???). Le vol de câbles électriques sur les chantiers est un «fléau social»… mais pas le chômage et la pauvreté.
On retiendra aussi nombre de ces inculpations de dignitaires en col blanc, dont la faute était nettement plus grave pour la collectivité (détournement de fonds publics, abus de bien sociaux, corruption, fraude fiscale…) mais qui s'en sont tirés avec un sursis et une réputation à peine entachée.
Et je ne peux résister à l'envie de citer des extraits de cette étonnante chronique de Sébastien Lapaque publiée lundi dans Témoignage Chrétien, qui se penche sur “Les petits, les obscurs, les sans-grade”. Face aux propos stigmatisants et répétés de Nicolas Sarkozy et son parti à l'encontre des pauvres et des «assistés», fraudeurs en puissance dont le discours de Bordeaux est la dernière démonstration, le romancier nous propose un retour à Saint Ambroise, l'un des quatre Pères de l'Église d'Occident, et à Saint Thomas d'Aquin, considéré comme l'un des principaux maîtres de la philosophie scolastique et de la théologie catholique, religion affichée de not’ président et certains de ses sbires… comme Laurent Wauquiez.
Voici ce qu'il écrit :
« Il serait oiseux d’opposer l’incivisme des rupins à celui des indigents de manière contraire en justifiant ceux-ci contre ceux-là. Mais lorsque j’entends les uns se faire traiter de voleurs et les autres de simples tricheurs, il me semble urgent d’invoquer la Somme théologique de Saint Thomas d’Aquin, en particulier la question 66 de la Secunda Secundae consacrée au vol et à la rapine.
Que les chrétiens de paroisse riche se tranquillisent : dans la droite lignée de son maître Aristote, l’Aquinate réfute le communisme utopique platonicien et défend le droit de propriété. C’est pour lui un "attribut naturel des créatures rationnelles et responsables, créées à l’image de Dieu". Chez lui, la dimension éthique et sociale de la question de la propriété et du vol est donc très équilibrée, et débouche sur l’exigence du partage des biens matériels pour le commun profit de l’humanité.
Cet "anticommunisme" aristotélicien, qui lui fait juger "que chacun donne à la gestion de ce qui lui appartient en propre des soins plus attentifs qu’il n’en donnerait à un bien commun à tous ou à plusieurs", est cependant équilibré par l’enseignement des Pères de l’Église, beaucoup plus réservés sur la prétention que peuvent avoir les hommes à être les propriétaires exclusifs de quoi que ce soit. Thomas cite notamment Ambroise : "Tout ce qui dépasse les besoins, on le détient par la violence".
Certains lecteurs vont trouver que j’abuse en réfutant les arguments de l’UMP avec ceux des Pères et des Docteurs de l’Église. Mais pourquoi pas ? "Saint Thomas d’Aquin, reviens, ils sont devenus fous !" ferait un excellent slogan.
Il convient de cultiver la mauvaise conscience chez les zonnêtes gens. En leur rappelant par exemple que l’Aquinate enseigne le contraire de ce qu’on a entendu à Bordeaux : plus celui qui se rend coupable de tromperie et de fraude est démuni, moins son geste est grave. À ce propos, il invoque encore une fois les Décrets d’Ambroise de Milan : "On est moins coupable en enlevant à autrui ce qui lui appartient, qu’en refusant à ceux qui sont dans le besoin, alors qu’on pouvait leur donner et que l’on est dans l’abondance".
J’aime ces raisonnements qui ont le tranchant de l’épée. J’aime également la réponse qu’apporte frère Thomas à la question "Est-il permis de voler en cas de nécessité ?" : "Les biens que certains possèdent en surabondance sont dus, de droit naturel, à l’alimentation des pauvres".
Ce qui fait dire à Ambroise, et ses paroles sont reproduites dans les Décrets : "C’est le pain des affamés que tu détiens; c’est le vêtement de ceux qui sont nus que tu renfermes; ton argent, c’est le rachat et la délivrance des miséreux, et tu l’enfouis dans la terre. Toutefois, comme il y a beaucoup de miséreux et qu’une fortune privée ne peut venir au secours de tous, c’est à l’initiative de chacun qu’est laissé le soin de disposer de ses biens de manière à venir au secours des pauvres. Si cependant la nécessité est tellement urgente et évidente que, manifestement, il faille secourir ce besoin pressant avec les biens que l’on rencontre – par exemple, lorsqu’un péril menace une personne et qu’on ne peut autrement la sauver –, alors quelqu’un peut licitement subvenir à sa propre nécessité avec le bien d’autrui, repris ouvertement ou en secret. Il n’y a là ni vol ni rapine à proprement parler".
Le droit naturel des pauvres sur la fortune des riches... J’en connais qui vont encore hurler au bolchevisme. »
Athée et provocatrice, mais exactement dans la même veine, je vous conseille aussi la lecture de cette brève chronique du Yeti intitulée “Minima sociaux : quand la fraude devient légitime”.
Mais revenons à notre RSAste, voleur de câbles qui va croupir en prison dans les mois qui viennent, et concluons en musique.
«Ils s'en prennent toujours aux voleurs de poules, jamais aux pilleurs de foule.» Connu pour ses enquêtes et ses révélations sur l'affaire Clearstream qui lui ont valu une trentaine de procédures judiciaires et une perquisition, le journaliste Denis Robert avait écrit et interprêté cette chanson rap :
«Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir». Rien n'a évolué dans le bon sens depuis cette peste animale évoquée par Jean de la Fontaine.
SH
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