Constatant que la hausse du chômage est fortement alimentée par les fins de missions d'intérim et les fins de CDD (un quart des entrées à Pôle Emploi), Jean Eudes du Mesnil du Buisson — un nom pareil, ça ne s'invente pas — propose d'allonger à 30 mois (au lieu de 18 actuellement), renouvellement compris, la durée maximale des CDD, estimant que cette mesure permettrait de maintenir ces salariés dans l'emploi alors que les chefs d'entreprise hésitent à les embaucher en CDI.
... Une rustine, c'est tout ce que ce monsieur trouve à proposer !
Et c'est ce qu'il compte nous servir lors du prochain «sommet pour l'emploi» du 18 janvier. Avec de tels éclairs de génie, on n'est pas sortis de l'auberge ! Avant que la montagne n'accouche d'une souris, gageons que l'on pourra s'amuser à établir un classement de tous leurs pis-aller, des plus inopérants aux plus ineptes.
Deux ans et demi en CDD
D'abord, on ne voit pas en quoi allonger la durée maximale des CDD incitera les employeurs à signer des contrats plus longs, qui engagent sur 15 à 30 mois, alors que leurs carnets de commandes se vident et qu'ils n'ont aucune visibilité… sur 12 mois voire moins ! La CGPME l'a elle-même écrit dans un communiqué : «Les patrons de PME sont inquiets. Ils manquent de visibilité pour l'année 2012, le contexte macro-économique, sur fond de crise de la dette, étant pour le moins anxiogène». Dans ces conditions les employeurs, bien au contraire, auront tendance à proposer des contrats de plus en plus courts. Sans compter que le chômage, qui frappe essentiellement les salariés intérimaires et en contrat à durée déterminée, recommence à s'étendre aux salariés en CDI. Sans compter que, pour un employeur, il est possible de rompre un CDI à tout moment… alors que rompre un CDD avant son terme ne l'est pas.
Ensuite, Jean Eudes du Mesnil ne sait-il pas que nombre d'entreprises célèbres et décomplexées comme Réservoir Prod, La Poste ou Pôle Emploi, n'hésitent pas à renouveler sans limite leurs CDD ? Le problème, c'est qu'elles maltraitent leurs salariés, qui ont ensuite tendance à se venger en les traînant aux Prud'hommes... Mais quand tout se passe correctement, le salarié aux abois accepte volontiers d'enchaîner les contrats sans que soient nécessairement respectés les délais de carence. Des tas de boîtes procèdent ainsi sans jamais se faire taper sur les doigts. Mais on comprend que Jean Eudes du Mesnil n'aime pas les Prud'hommes et préfère se mettre en conformité avec la loi.
Liberté, égalité... précarité !
Répondant au présentateur qui lui demandait si cette mesure n'allait pas accentuer la précarité, Monsieur Jean Eudes du Mesnil a osé dire qu'il ne considérait pas comme précaires les salariés bénéficiant d'un CDD de plus de 6 mois, se basant sur Pôle Emploi qui les qualifie d’"emplois durables". Pour lui, les vrais précaires sont les chômeurs sans activité aucune.
Sauf que le gars qui bosse en CDD, même de 15 mois renouvelables, même pas trop mal payé, ne peut avoir accès à un logement ou à un prêt ! Pour un bailleur ou un banquier, le CDD, qu'importe sa durée, est synonyme d'instabilité et n'offre aucune garantie solide. La précarité, Monsieur Jean Eudes du Mesnil du Buisson, ce n'est pas qu'être sans emploi et pauvre : c'est aussi ne pas pouvoir se projeter en jouissant des mêmes droits que les autres.
A travers sa proposition, la CGPME veut non seulement étendre mais banaliser la précarité. C'était déjà le but des CPE et CNE de Dominique de Villepin en 2006, avec leur "période de consolidation" de 2 ans. C'était aussi le but de l'Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH) qui, il y a six mois, a remis sur le tapis la création d'un contrat de travail unique — idée que Nicolas Sarkozy avait fait sienne pendant sa campagne de 2007 — visant à précariser l'ensemble du salariat, question de niveler l'existant par le bas au nom de la "réduction des inégalités".
Allongement de la durée maximale des CDD, CDI intérimaire, recours au chômage partiel, flexibilisation et modulation du temps de travail… : le «sommet pour l'emploi» du 18 janvier, s'il ne vaudra pas tripette pour lutter contre le chômage, n'augure rien de bon pour ceux qui travaillent. Comme son nom l'indique, au nom de "la crise", le «sommet pour l'emploi» s'emploiera à le précariser.
SH
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