«Désigner un ennemi dont personne ne connaît le visage et dont personne ne pourra vérifier s’il y a victoire ou non contre cet ennemi, c’est pratique, confortable, mais il y a des décisions à prendre chez nous pour que le chômage recule», a-t-il justifié.
Eh oui, le chômage, c'est porteur : il y a 5 millions de voix à gratter ! C'est pourquoi le candidat du Modem veut, avant tout, du tangible et du rudimentaire.
Mais qui est responsable du chômage ?
Tout en amont, à la source : la financiarisation de l'économie. Voyez comment, grâce aux déréglementations successives autorisées par les politiques depuis quarante ans (doublées d'une contre-révolution fiscale qui a réduit par de multiples moyens les impôts des entreprises et des ménages les plus riches, au nom de la «théorie du ruissellement»), la finance a opéré avec succès une magistrale captation des richesses au détriment de l'économie réelle. Cette captation, qui ne profite qu'à une poignée — les «1%» dénoncés par les Indignés —, asphyxie peu à peu l'ensemble de l'activité humaine et, par ricochet, les populations. Ce système mondialisé à l'anglo-saxonne imposé par les Etats-Unis, pour qui chômage est synonyme de profits et qui recèle en lui les germes de crises à répétition dont nous vivons la plus grave depuis 1929, est complètement suicidaire : il faut en finir avec lui, et le remplacer.
Usant d'un raisonnement simpliste visant à frapper l'esprit des électeurs, François Bayrou balaie d'un revers de manche l'implication centrale de l'économie financiarisée sur le chômage et la pauvreté. S'appuyant sur l'argument «pratique, confortable» que cet ennemi n'a pas de visage — alors qu'il en a de nombreux, même s'ils sont discrets et peu médiatisés : derrière un système, il y a toujours des hommes —, il renonce ouvertement à l'affronter. Pourtant, pas besoin de connaître les visages ni les noms de ces psychopathes : il suffit, pour faire barrière à leur pouvoir de nuisance et remettre les choses à l'endroit, d'avoir des couilles et de légiférer !
Mais ce n'est pas son intention. «En France il y a des gens qui se disent contre le système mais qui ne veulent rien changer. François Bayrou est l’homme qu’il leur faut» : ainsi l'avait décrit l'ancien eurodéputé centriste Jean-Louis Bourlanges, un constat qu'il n'est pas seul à faire. Chevalier blanc de la politique à l'égo surdimensionné, ce François-là va à droite quand les autres sont à gauche et à gauche quand les autres sont à droite. C'est ça, son «ni droite ni gauche» : l'art et la manière de brouiller les cartes pour ne jamais prendre position. Comme Marine Le Pen mais dans un autre registre, il est, lui aussi, un imposteur qui veille à la pérennité du régime.
François Bayrou, nouveau “père la rigueur”
Evitant de s'attaquer aux origines du chômage, trop lointaines et trop floues pour lui — que voulez-vous : «Quand le sage désigne la lune, l’idiot regarde le doigt» puis, se prenant pour un sage, désigne à son tour le doigt à qui veut bien le regarder —, François Bayrou se contente de barboter en aval. Et que propose-t-il ? Rien. Si vous allez sur son site, vous verrez que son projet se décline en «trois défis clés à relever» : «Produire», «Instruire», «Construire», dans un blah-blah pompeux truffé de généralités. Et quand vous tapez "chômage" sur le moteur de recherche, vous ne trouvez qu'une revue de presse contenant deux articles à sa gloire, au contenu totalement superficiel.
C'est ailleurs qu'il faut trouver les détails : ici, par exemple. Pour lui, «le véritable ennemi de l’emploi, c’est le déficit». Or, qui en est responsable ? La soumission des Etats à la financiarisation de l'économie. Et, plus particulièrement, nos gouvernements de droite.
Pour réduire ce déficit, bien qu'il le récuse, notre “François centriste” propose «du sang et des larmes» à la majorité des Français. Il veut augmenter la TVA — impôt injuste par excellence — de 2 points, tout en bricolant à la marge l'impôt sur le revenu et les niches fiscales. Il veut geler les dépenses de l'Etat, de la Sécu et des collectivités locales… bref, que de l'austérité en barre au nom de l'effort collectif, pire qu'un François Fillon n'oserait le préconiser. A l'instar de l'UMP, il est pour le contrat de travail unique et la flexibilité du salariat; contre les 35 heures. Quant à son «produire français» (refrain plus ou moins creux entonné par la plupart des candidats) afin de relancer la consommation, créer des emplois et par conséquent faire remonter le pouvoir d'achat des Français (dont il taxera par derrière les plus modestes…), il ne tient pas la route s'il n'y a pas de projets d'avenir consistants à la clé.
Flamby vs Flamby
On le voit, le “François centriste” est clairement à droite, tandis que le “François socialiste” est plutôt… centriste (en tous cas, il n'est pas à gauche).
Et le “François socialiste” est, lui aussi, un garant du système. N'oublions pas qu'en France c'est le PS, alors au pouvoir, qui a équipé de pied en cap la libéralisation financière dans les années 80. Bien mal lui en prit. Mais pas de mea culpa à attendre de la part de nos éléphants roses qui perpétuent un néolibéralisme soft à l'échelle européenne... Tout sauf radical et couillu, leur candidat entend modifier le système à la marge et composer avec la rigueur. Ses timides propositions ne sont pas à la hauteur du virage historique dans lequel nous sommes engagés. Marchant sur la terre brûlée laissée par le sarkozysme, Hollande n'envisage absolument pas d'avoir recours à la quantité d'eau nécessaire afin que la végétation puisse repousser.
Cette foire d'empoigne fait partie du grand barnum électoral où les bonimenteurs saisissent toutes les occasions d'exécuter leur show. Derrière les proclamations/promesses de la plupart des prétendants au trône, la litanie du changement n'est qu'une vaine incantation car ils ne le souhaitent pas : planqués dans leur bulle, ils se satisfont amplement de la situation. Même du côté des électeurs, y compris parmi les innombrables victimes du système, s'il semble désiré, la peur du changement est cependant réelle : c'est pourquoi, hormis quand il s'agit de se défouler un peu sur son voisin basané ou «assisté», la modération continue de l'emporter et qu'on se fade toujours les mêmes gardiens de prison, sans espoir d'en sortir.
SH
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