Dans un document remis début avril au ministre du Travail et intitulé “Sécuriser les parcours professionnels par la création d’un compte social universel”, François Davy (ex-patron du leader de l'intérim Adecco devenu président du groupe immobilier Foncia, qui a bien failli succéder à Christian Charpy à la direction générale de Pôle Emploi) avance 13 propositions qualifiées par certains de «big bang». Au menu, «un bouleversement complet du paysage de la formation, de l'accompagnement des demandeurs d'emploi, et même du suivi des compétences des salariés en poste»...
Pour les curieux, le rapport Davy à télécharger en pdf.
Une mission "occupationnelle" ?
L'économiste Michel Abhervé n'a pas manqué de l'éplucher. Et son analyse est cinglante. «A la lecture de ce rapport, écrit-il, nous restons très interrogatifs tant il comporte d’erreurs, d’affirmations non fondées, de propositions qui sont déjà en application, d’incohérences, d’évidences… et quelques impasses, au point que nous avons l’impression que, loin de traduire un big-bang de la formation comme le déclaraient les analyses préalables à la publication, il traduit plutôt un big-bang dans la tête du rapporteur qui n’a pas réussi à maitriser le sujet.» Et de citer de nombreux exemples l'amenant à conclure au total manque de sérieux de ce travail.
On ne sait pas ce qu'a voulu faire Xavier Bertrand en missionnant François Davy sur ce thème. Ou il s'est lourdement trompé sur le choix du bonhomme, ou il a voulu le consoler de la nomination de Jean Bassères à la tête de Pôle Emploi en lui confiant une activité occupationnelle grassement rémunérée. Ou les deux.
Le service civique, outil de substitution à l'emploi salarié
Révélatrice d'une tendance lourde, une des propositions de François Davy avance que, «pour traiter partiellement la question du manque de ressources, Pôle Emploi pourrait être renforcé de volontaires du service civique. Destiné aux jeunes de 16 à 25 ans, l’objectif du service civique est de mobiliser la jeunesse face à l’ampleur de nos défis sociaux et environnementaux : l’emploi doit figurer parmi les missions du service civique».
Selon lui, après avoir usé et abusé de contrats aidés jetables et de CDD qui commencent à lui coûter cher, Pôle Emploi devrait donc faire appel à ce nouvel outil de substitution à l'emploi salarié (nettement moins risqué), destiné à une jeunesse aussi désœuvrée que «volontaire» (quand on n'a pas le choix, on le devient) dans un pays où l'ascenseur social est en panne. Et tant pis pour les agents Pôle Emploi, déjà débordés, qui devront coacher cette main d'œuvre débutante.
La normalisation de l'emploi bradé
Le service civique, compromis entre le stage en entreprise et le petit boulot en CUI-CAE, énième faux tremplin vers une intégration professionnelle, a été créé en mars 2010 sous la houlette de Martin Hirsch, grand spécialiste de l'emploi bradé. Ce dispositif consiste à faire travailler «de façon désintéressée» des jeunes, diplômés ou non, entre 6 et 24 mois, de 24 à 48 heures par semaine dans une association ou une collectivité publique pour un tarif très concurrentiel : un fixe de 442 € versé par l'Etat + 100 € versés par la structure d'accueil pour les frais de transport, logement et nourriture. Une bourse pourra s'ajouter à cette indemnité en cas de difficultés financières ou d'éloignement important. Au total, selon les situations, les signataires perçoivent entre 542 € et 641 € par mois. Enfin, le service civique n'étant pas un emploi salarié, il n'ouvre pas droit au chômage; par contre, il ouvre des droits à la Sécurité sociale et valide des trimestres pour la retraite, c'est déjà ça...
Tel est le pansement sur une jambe de bois imaginé par François Davy ! Qu'on se rassure : ce rapport "occupationnel" n'a aucune chance de servir — encore un rapport pour rien, et encore de l'argent foutu en l'air — mais il est révélateur d'un dangereux état d'esprit qui fait, depuis 40 ans, son chemin dans le monde du travail et la société toute entière. Par devant, on y encense la «valeur travail»; par derrière, réduit à un vulgaire «coût» qu'il faut rogner au maximum, le travail est de plus en plus dévalorisé. On n'en est pas encore à faire trimer les gens contre un bol de riz, mais c'est l'objectif.
SH
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