En cette période de crise, on aurait espéré voir un peu plus d'intelligence, de lucidité et de fraternité émerger d'un électorat populaire attaqué par la finance, le grand patronat et leurs politiques d'austérité. Mais non. «La misère est mauvaise conseillère», rappelait cet été l'historien Dominique Vidal. Et ce n'est pas un hasard si cette misère, qu'elle soit financière ou intellectuelle, est savamment entretenue par ceux qui nous gouvernent.
Dix ans après son père qui avait balayé le candidat socialiste au premier tour avec 17% des suffrages, bien qu'arrivant troisième cette fois-ci, la candidate du Front national a réalisé un score «historique» [1] de 17,9% alors qu'elle remplit tout juste un Zénith (capacité : 6.300 places). «Il est plus facile de remplir une place ou une salle que les urnes», prétend Elie Arié, "chroniqueur associé" de Marianne2. Il faut croire que c'est vrai, de la même façon que l'économie virtuelle — l'économie financière ou "économie casino" — a supplanté l'économie réelle qui ne représente plus que 2% des richesses produites.
Désormais ce qui se voit, ce qui est concret ne pèse rien en comparaison de ce qui se cache. Et la grande majorité de l'électorat de Marine Le Pen ne se dévoile pas, ne se montre pas, soit parce qu'il est casanier ou replié sur lui-même, soit parce qu'il a honte de ce qu'il est (in)capable de faire. Non, la grande majorité des électeurs du FN n'est pas franchement "décomplexée". Plutôt passifs, ils préfèrent vomir leur rancœur entre les quatre murs de leur salon puis derrière l'isoloir, en catimini : ça nécessite moins de courage que de se battre ouvertement pour défendre ses acquis et ses droits.
Le même Elie Arié dénonçait dans son dernier livre un système «sans doute le plus inégalitaire et le plus révoltant que le monde ait jamais connu», désormais «protégé de ce qui, jusqu'à présent, avait toujours mis fin à l'intolérable : les révolutions». Et c'est là où Marine Le Pen trouve sa place, bichonnée en tant que "diable de confort" de l'oligarchie triomphante.
Car Marine Le Pen et le Front national se moquent des ouvriers. Peut-être les classes populaires ne le savent-elles pas. Et si elles s'en doutent, elles votent tout de même F-Haine parce qu'elles "ne se sentent plus chez elles" et "en ont marre des Arabes et des Noirs", point. Au lieu de lever la tête, on regarde ses chaussures : protester contre ces boucs émissaires-là, quoi de plus facile. Pendant qu'on fustige les exilés de la misère, on épargne les exilés fiscaux. Sauf que la France n'est pas aussi "malade de l'immigration" qu'on nous le serine. De la même façon que les politiques d'austérité que veulent nous infliger Bruxelles et le grand patronat sont totalement suicidaires et inopérantes, vouloir chasser les "étrangers" de la France est tout aussi voué à l'échec. Alors, pourquoi persister dans cet aveuglement mesquin ?
Pourquoi, en Seine-Saint-Denis et dans les quartiers populaires de Paris où la population vit mélangée avec "les immigrés", Marine Le Pen n'a pas cassé trois pattes à un canard alors que dans les campagnes et les régions où elle a cartonné, les Noirs et les Arabes sont nettement moins nombreux, voire absents ? N'est-ce pas révélateur d'un fantasme construit de toutes pièces ?
Enfin, l'électorat de Marine Le Pen ignore-t-il que, tout au long de cette campagne, sa favorite est restée à la deuxième place du podium des menteurs, entre le super-champion Nicolas Sarkozy (qui trouve encore le moyen d'obtenir 27% des voix après ce qu'il a fait subir aux Français) et François Hollande, médaille de bronze du flou approximatif ? Pourquoi les scores des candidats sont-ils inversement proportionnels à leur intégrité ? Pourquoi, en France, exige-t-on de l'honnêteté tout en préférant de loin les bateleurs ? Pourquoi les pauvres votent-ils contre leurs intérêts ?
Autant de questions sans réponse... Pire qu'en 2002, ce lundi 23 avril 2012, la France républicaine a la gueule de bois. Ce matin, j'ai mal à ma France et ça me donne la nausée.
SH
[1] A relativiser fortement : 10 ans auparavant, en 2002, son père avait totalisé 16,9% des voix au premier tour… sans oublier les 2,3% de Bruno Mégret. Donc, proportionnellement et en paraphrasant avec ironie certains commentaires sur le chômage, on peut dire que le niveau de l'extrême-droite en France reste "stable à un niveau élevé".
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