Le vendredi 1er février, le directeur des marques de PSA, Frédéric Saint-Geours (IUMM-Medef), dénonce la "violence intolérable" des grévistes d'Aulnay. Il évoque des jets de boulons, d'œufs, des menaces.
Incroyable hasard, le même jour, trois syndicats minoritaires sur le site d'Aulnay ont tenu une conférence de presse au siège de PSA pour dénoncer les agissements de la CGT. Ces déclarations font suite, rappelons-le, à un lock-out à peine déguisé de plus d'une semaine de cette usine, pratique traditionnelle du patronat visant à fermer provisoirement une usine pour contrer un conflit social, alors qu'un mouvement de grève a commencé le 16 janvier.
Plus de six mois après l'annonce officielle de la fermeture du site, que des syndicats préfèrent dénoncer des grévistes plutôt que de défendre l'emploi des salariés est en soi assez surprenant, mais rappelle en fait des pratiques qu'on aurait pu croire révolues : celles des syndicats patronaux marchant main dans la main avec leurs employeurs.
Tenter de casser la grève
Chercheurs, historiens en histoire sociale, nous nous sommes rendus sur place, à l'usine d'Aulnay les 17 et 18 janvier, au tout début de la grève, et encore ce 1er février. Nous n'avons pas vu les violences intolérables décrites. Nous n'avons pas vu de casse, de machines abîmées ; seulement quelques caisses de boulons renversés, quelques tags célébrant la grève, mais de déchaînement de violence, point.
Par contre nous avons observé des grévistes, en civil, sous le regard vigilant de la maîtrise, bras croisés, en blouse de travail, dont 200 membres ont été appelés des autres sites PSA pour tenter de casser la grève. Nous avons aussi constaté l'accueil menaçant des compagnies de vigiles embauchés pour l'occasion, postés sur le parking.
Nous avons vu des discussions animées, franches, voire très vives, entre grévistes et non-grévistes. Nous avons vu des regards noirs, entendu quelques moqueries, quelques qualificatifs peu amènes ("mouchards, vendus…"). Mais aussi quelques billets glissés en douce, en soutien, par des non-grévistes aux grévistes pour la caisse de grève. Et aussi les discussions, les plaisanteries, les slogans, les chants, les danses au son des tambours, la possibilité pour des salariés de relâcher la pression et de s'approprier leur lieu de travail, après les mois éprouvants ayant suivi l'annonce de la fermeture de l'usine, à la veille des vacances d'été.
Qu'il y ait des "tensions", c'est bien le moins quand une telle décision est prise, quand la crainte du chômage pèse, quand les négociations ne semblent pas avancer, quand une grève est en cours. Quand les vigiles et les cadres, payés double, sont appelés en renfort par la direction.
Pas de violences physiques
Qu'il y ait des discussions, des disputes, des remous, des actes virulents, c'est le propre des conflits sociaux ; une grève fait nécessairement monter la pression et les tensions, surtout dans un tel contexte. Mais nous n'avons pas vu de violences physiques.
Si on compare avec les images et les témoignages des grandes grèves chez Citroën dans les années 1970 et 1980, quand des nervis attaquaient les grévistes, interdisaient toute activité syndicale indépendante de la direction Citroën à l'intérieur des usines, la violence évoquée paraît aujourd'hui dérisoire.
En tant que chercheurs, nous avons reçu un accueil chaleureux des grévistes. Les seules tentatives d'intimidation sont venues, en ce qui nous concerne, d'un responsable des ressources humaines accompagné d'agents de maîtrise.
La direction de PSA a choisi de dresser les salariés les uns contre les autres, elle a choisi l'angle de la criminalisation du mouvement social en traitant les grévistes de "casseurs", en portant plainte contre plusieurs d'entre eux. C'est pourtant elle qui casse l'usine et l'avenir des ouvriers, et qui cogne sur les grévistes. Cette rhétorique ouvre la voie à des amalgames et des dérives réactionnaires.
Le pas est vite franchi, entre "casseurs" et "jeunes des cités", "voyous" et "Arabes", dans une usine historiquement marquée par une forte proportion de travailleurs immigrés ou héritiers de l'immigration. Comme le disait le syndicaliste Ahmed Berrazzel, menacé il y a deux ans de licenciement par PSA suite à de fausses accusations, "les voyous, ils ne se lèvent pas à 5 heures du matin pour aller gagner 1.300 euros par mois".
Ayant grandi pour une partie d'entre eux dans les cités populaires d'Ile-de-France, souvent habitués à la stigmatisation de leurs origines sociales et banlieusardes, ils se défendent aujourd'hui pour défendre leur dignité de travailleurs, comme l'avaient fait leurs prédécesseurs immigrés en 1982.
L'arrêt maladie est un moyen de ne pas casser le mouvement
Aujourd'hui, il est erroné de présenter, comme le fait la direction de PSA, une usine bloquée par des grévistes menaçants. Si l'usine ne tourne plus, c'est du fait de la grève, mais aussi parce que l'absentéisme atteint des proportions très importantes : de nombreux salariés, sujets à des pressions diverses de la part de la direction (appels téléphoniques, menaces sur le reclassement…), craignent de faire grève, et l'arrêt-maladie est un moyen de ne pas casser le mouvement.
C'est également le résultat des réductions de postes depuis des années, car aujourd'hui PSA manque de personnel pour faire tourner les chaînes sans les grévistes.
Enfin, les salariés qui restent sont pour nombre d'entre eux découragés, désabusés, inquiets, pas dans les meilleures conditions pour un travail efficace. La "boule au ventre" mentionnée dans certains témoignages, elle vient pour la plupart des salariés de leur avenir incertain, et non du mouvement de grève.
Les constructeurs automobiles français, qui ont connu un recul de leurs ventes, multiplient depuis un an les annonces de fermeture, de plans sociaux, de chantage à la signature d'accords réduisant les droits des salariés. Il est indécent, comme ils tentent de le faire, de se racheter une virginité face à l'opinion publique sur le dos des grévistes.
Vincent Gay, doctorant en histoire, université Evry-Val-d'Essonne
Sylvain Pattieu, maître de conférences en histoire, université Paris VIII ; écrivain
(Source : Le Monde)
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