Renault, sauveur de l'Espagne ? Là-bas, la marque au losange emploie quelque 10.000 salariés dans quatre usines : un site d'assemblage et une fabrique de moteurs à Valladolid, une usine à Palencia et une autre à Séville. Dans un plan de développement échelonné sur dix ans, le groupe prévoit "la fabrication de quatre nouveaux modèles d'automobiles à Palencia, et la hausse de 30% de la production de moteurs à Valladolid et de boîtes de vitesse à Séville". Ainsi, 1.300 emplois supplémentaires devraient être créés de 2014 à 2016.
"A un moment où l'Espagne et les Espagnols ont besoin de bonnes nouvelles économiques, l'attribution du plan industriel du groupe Renault aux usines de notre pays est sans aucun doute un motif de réjouissance pour tous", a salué le premier ministre ultra-conservateur et ultra-austéritaire Mariano Rajoy lors d'un discours prononcé hier sur le site de Palencia.
Un motif de réjouissance pour tous ? Certainement pas pour les salariés français, menacés de perdre leur emploi dans l'Hexagone. Et pas vraiment non plus pour les Espagnols, minés par une crise économique et immobilière ayant abouti à 20% de pauvreté et 25% de chômage. Acculés, ils sont prêts à tous les sacrifices… quitte à nuire, pour quelques miettes, à l'ensemble du salariat européen. Mais n'étant que les marionnettes des puissants qui nous dirigent, ce n'est pas eux qu'il faut blâmer : sidérés, ils ne réalisent pas que les chantres du capitalisme jouent selon les règles immondes de "la stratégie du choc" brillamment décrite par Naomi Klein, et gagnent.
Chantage à l'emploi
Dans ce contexte désastreux et sciemment provoqué (car la crise financière de 2008, qui a germé à Wall Street puis contaminé l'Europe, n'est pas un hasard mais l'aboutissement d'abus et de dysfonctionnements connus), il va sans dire que ces 1.300 petites créations de postes — en réalité, que de l'intérim et des CDD ! — se sont appuyées sur un "accord social" plus que favorable pour Renault, les syndicats espagnols UGT, CCOO et CCP ayant accepté :
• d'allonger la durée du travail de un à trois jours par an avec la même rémunération;
• de plafonner les hausses de salaire à la moitié de l'indice des prix;
• de baisser de 10% des primes pour la nuit, les samedis ou les week-ends;
• de diminuer de 27,5% les salaires des nouveaux employés en CDD de 18 mois;
• de créer une nouvelle grille pour les salaires d'embauche démarrant à 72,5% du salaire d'un agent qualifié;
• de mettre en place un roulement pour produire 7 jours sur 7 dans n'importe quel site.
Rien que ça !
La mise en avant de ce "contrat espagnol" vise essentiellement à faire pression sur les syndicats français et à imposer des conditions plus drastiques à nos salariés. Car Renault est, justement, en train de négocier avec ses "partenaires sociaux" (CFDT, CFE-CGC, CGT et FO) des "accords de compétitivité" qui devraient déboucher d'ici à fin janvier.
Renault sait qu'ici, il ne peut pas tirer autant sur la ficelle. Mais le contenu de ce "Pacte social", outre un vaste projet de restructuration visant à réaliser d'importantes économies d'échelle, porte sur… les coûts du travail, la flexibilité/mobilité, l'emploi, et les avantages sociaux. La direction veut notamment imposer "une plus grande fluidité des mouvements de personnel entre les sites" (comprenez : plus de flexibilité avec variations salariales à la clé). Et le chantage à l'emploi plane au dessus de la table, Renault ayant assuré qu'en cas de "succès des négociations" (comprenez : si les syndicats se plient), il "pourrait s'engager à ne pas fermer d'usines en France" (alors que 786 millions d'euros de bénéfice net ont été engrangés au premier semestre 2012). Qu'on soit en dessous ou au-dessus des Pyrénées, plus que jamais, chez Renault, dialogue social = racket.
Scions la branche !
Il est vrai qu'en Espagne, une heure de travail coûte 22 euros en moyenne contre 33 ici. (Récemment, la présence de travailleurs espagnols low-cost sur le territoire français, trimant jusqu'à 54 heures par semaine pour 5 euros de l'heure, a défrayé la chronique...) Renault se plaît à dire que dans l'automobile, le coût d'un ouvrier français est supérieur de 43% à celui d'un ouvrier espagnol faisant le même travail et nous apprend que sur une année, un salarié espagnol coûte 35.000 €, contre 50.000 € pour un salarié français.
Sauf que le très cher payé Carlos Ghosn, qui a touché un salaire de 9,9 millions d'euros en 2011, n'a pas l'intelligence d'Henry Ford : il ne se demande pas comment il pourra écouler sa marchandise si ses ouvriers, payés au lance-pierre, ne peuvent plus s'acheter quoi que ce soit. Désormais le salut est dans l'export, et tant pis pour le marché intérieur dont la négligence, à moyen terme, nous reviendra en pleine face tel un boomerang.
Cette course aux profits à court terme est la religion du moment. Tandis que son concurrent PSA, après avoir grassement bénéficié des aides de l'Etat (chômage partiel + heures sup’ défiscalisées), prépare un plan social qui prévoit au bas mot 8.000 suppressions de postes en France, la marque au lion recrute en Russie et son patron Philippe Varin, qui a quadruplé son salaire en 2010 malgré la crise, martèle que le "coût du travail" — celui des autres, pas le sien — est l'ennemi public n°1.
Le patriotisme économique ? Foutaises. Vive l'Europe ultralibérale, vive le dumping fiscal et social, et vive l'Internationale patronale !
SH
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