La «mobilité forcée», professionnelle ou géographique (art. 10 du projet de loi)
La mobilité forcée est le fait pour l'entreprise de déroger à l'article L5411 du Code du travail en contraignant ses salariés, par la force du contrat, à une mobilité «non raisonnable» définie par le code (30 km, 45 mn de trajet…).
Rappelons que l'observatoire du stress à France Télécom a été constitué suite aux ravages et aux suicides provoqués par les mobilités forcées, tant professionnelles que géographiques, imposées par l'entreprise et validées dans un accord conventionnel signé par les syndicats (France Télécom étant loin d'être la seule entreprise à pratiquer cette politique). On connaît les résultats : «liquidation» de 5 à 10% des travailleurs à chaque «réorganisation», destruction des vies professionnelles, familiales et personnelles de milliers de foyers, allant jusqu’au suicide. Rappelons que Didier Lombard a été mis en examen pour avoir harcelé et mis en danger la vie d'autrui alors qu'il appliquait un accord conventionnel dérogatoire au Code du travail.
Le texte de loi propose de supprimer la validité de fait du L5411 en permettant d'y déroger par accord conventionnel (minoritaire de surcroît). Autrement dit, exonérer l'entreprise des conséquences juridiques et financières d'une mobilité forcée, en autorisant le harcèlement de ses salariés les plus fragiles.
Ce texte fragilise aussi les futurs chômeurs qui devront se conformer à ces nouvelles rêgles d'embauche.
Il s'agit d'un recul qui n'était même pas au programme de la demande initiale du Medef, puisque le patronat lui-même démarrait la négociation le 14 novembre 2012 en faisant explicitement référence au Code du travail pour borner la définition des offres raisonnables d'emploi. Extrait du texte du Medef : «Les refus par les salariés des modifications de contrat ou transformation d’emplois seront traités dans le cadre de plans de redéploiement dès lors que les dites modifications se situeraient dans les limites de la définition des offres raisonnables d’emploi, donnée par le Code du travail» (art. 5411).
Autrement dit, toute dérogation de l'entreprise à l'article 5411 devrait être traitée comme une décision économique de l'entreprise et le refus du salarié équivaut à un licenciement pour cette cause.
Qu’une entreprise veuille supprimer ses activités et son personnel est une chose, mais qu'elle en assume alors les responsabilités. Prendre appui sur une loi pour s’exonérer de ses responsabilités et d’un plan de redéploiement en retournant la faute sur le salarié qui n’y peut rien, est une source inépuisable de drames et de futurs suicides pour le personnel qui en fera les frais, comme nous l’avons tristement constaté dans nos entreprises.
Les effets de ces drames ne se limitent pas à l’entreprise : ils concerneront aussi bien son personnel sous-traitant que les habitants des communes touchées par un tel déni de la responsabilité sociale de l’entreprise.
La «mobilité dite volontaire» (article 3 du projet de loi)
C'est permettre à un travailleur de chercher du travail ailleurs pendant un an, contre la promesse de réembauche à son retour. Cette mesure d’apparence équitable doit être appréciée au regard de son application dans les entreprises, et son apologie montre à quel point certains dirigeants n'ont plus connaissance de la réalité du fonctionnement d'une entreprise.
Dans la période de récession que nous traversons, l’expérience prouve que cette mesure est utilisée pour se débarrasser du personnel indésirable, à commencer par les plus âgés. Car cette mesure existe, elle a été mise en œuvre, entre autres, à France Télécom et bien d’autres entreprises pendant plusieurs années, principalement pour se débarrasser de leurs seniors : humiliés et harcelés jusqu’à accepter cette mobilité sous n'importe quel prétexte, avec 90% de chances de retour dans une situation bien pire qu'au départ, la mise au placard étant la plus douce des issues qui leur sont imposées. L'humiliation profonde ainsi imposée à cette catégorie de travailleurs, aussi bien pour les pousser à partir que lors de leur retour, est un motif reconnu d'atteinte à leur dignité et à leur sécurité et une source de risques psycho-sociaux.
La dérogation aux délais de prévenance, au nombre et à la durée des interruptions du temps partiel (art. 8)
Le projet de loi donne à un accord conventionnel (minoritaire) le pouvoir de déroger à un socle minimum défini pour protéger la vie personnelle, familiale et professionnelle des travailleurs les plus précaires et les plus démunis (bien souvent des femmes).
C'est laisser libre court au harcèlement et à la destruction de la vie quotidienne de ces travailleuses, et c'est leur rendre impossible de planifier leur existence, leur vie familiale (et la recherche d'un second emploi), ne serait-ce qu'à l'horizon d'une semaine. De toutes les mesures qui, dans ce projet de loi, attentent à la dignité des travailleurs, celle-ci est l’une des plus injustes, des plus inacceptables, et lourde de conséquences à venir.
Si la dignité et la santé des travailleurs est une obligation, elle ne peut pas être soumise à la dérogation d'accords conventionnels. En la circonstance, la protection des travailleurs suppose de réaffirmer son socle non dérogatoire : prévenance des horaires une semaine à l'avance au minimum et une seule interruption journalière.
À noter que les autres dispositions de cet article sont un leurre (la majorité des embauches actuelles se fait avec des contrats de travail de moins de 6 semaines) et ne changent en rien les conséquences désastreuses de la mesure incriminée sur la vie quotidienne des plus précaires des travailleurs.
Une quatrième mesure du projet de loi concerne les CHSCT et attente aux capacités des salariés de faire reconnaître leurs demandes de prévention des risques : nous la traiterons dans un prochain article.
(Source : L'Observatoire du stress et des mobilités forcées dans les entreprises)
Le mardi 5 mars, les associations de chômeurs appellent à se joindre aux mobilisations contre l'accord national interprofessionnel signé le 11 janvier par le Medef et la «troïka» syndicale CFDT-CFTC-CGC, qui va être transposé en loi par ce gouvernement soi-disant "de gauche" (projet de loi présenté au conseil des ministres le 6 mars pour discussion au Parlement courant avril, dans la perspective d'un vote courant mai).
En attendant, comme nous l'avons fait, signez la pétition d'Attac contre cet accord ultra-régressif.
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